- Fluctuat
Dans un pavillon de banlieue vit un veuf solitaire et très pieu, Jean Mardet (Jean-Pierre Mocky). Incapable de supporter la souffrance d'autrui, il se sent, à cause de cette extrême sensibilité et de cette incapacité même, investi d'une mission divine. Il s'agit pour lui de libérer ses "frères" de la douleur qui les accable.
La scène d'ouverture nous donne la clef d'une vocation dont le principe est simple : pour supprimer la douleur, la "bête de miséricorde" supprimera l'être souffrant. En effet, comme il a peu de psychologie, Mardet tranche vite et agit sans détour. Trois paroles de désespoir prononcées devant lui, bien souvent, tournent à l'arrêt de mort. Un matin, la présence d'un cadavre dans son jardin entraîne l'arrivée de la police. Les inspecteurs Moreau (Bernard Ménez) et Castan (Jackie Berroyer) interviennent alors pour mener une enquête, à la manière de Maigret, toute en discussions et rencontres de témoins.Chaque discussion compose une scène unique, bien différenciée par un décor et par une lumière. Nous y pénétrons comme dans un champ de significations/indices divers et très vivaces, qui sautent littéralement aux yeux. Mocky, en une sorte de caricature des procédés du suspens, entre la série B et la déconstruction dialectique, surligne les éléments qu'il veut rendre significatifs. Il épure les espaces, n'y laissant que ce qui caractérise le lieu : la table du salon, le mobilier de fonction dans le poste de police, le comptoir du bar, etc. Il tisse ainsi un caractère général de l'image puis il y pose, à sa convenance, presque selon l'humeur, des éléments qui concentrent la signification. Le réalisateur est très libre dans la mesure où l'assassin est connu de nous dès le départ. Il ne fait qu'expliquer le pourquoi de l'intrigue absurde dont il se rend coupable (puisqu'il est cet assassin). Les éléments significatifs du décor se signalent donc souvent par leur incongruité : une carafe de whisky sur la table, un prie dieu dans le salon, une croix dans le jardin, des lampes de bibliothèques dans le poste de police, etc. Cela reste toujours délicat cependant. Il s'agit d'un léger déséquilibre qui doit suffire à vriller, en profondeur, le sens commun à l'intérieur du film.L'alcool, là-dedans, est un élément important. C'est une sorte de fil conducteur entre les protagonistes qui sont tous, d'une façon ou d'une autre, pris dans un sombre délire. Nous assistons ainsi à plusieurs très belles descentes de carafe au salon, ou de demis au comptoir. Mais l'alcool nous renvoie topographiquement, par-dessus tout, au terrain vague. Omniprésent, il guette chacune des architectures du film comme pour prendre sa place. Ainsi le jardin laissé à l'abandon semble rôder autour du pavillon de Mardet et tous les lieux sont, de même, environnés d'une anarchie végétale de ronces et de mauvaises herbes. Métaphoriquement, le terrain vague de l'esprit embué l'alcool, d'illuminisme ou de désespoir, monte comme une grande marée dans ce film plein d'élucubrations magnifiques et malicieuses.Mocky tourne avec beaucoup de sérieux, puis il monte les plans d'un geste décidé, passant brusquement d'une idée, d'une scène à l'autre. Il progresse dans l'histoire, vers son absurdité, avec jubilation. C'est avant tout cette jubilation qui se communique et qui nous ravit. La bête de miséricorde est pour son spectateur l'espace d'un jeu où la narration obéit moins à la logique adulte du : "Il était une fois " (logique de la vraisemblance), qu'à la logique enfantine du "On dirait que " (logique de la puissance d'évocation). Il s'écoule ainsi en un enchaînement de séquences qui sont, toujours, le fruit d'un nouvel "on dirait", d'une nouvelle inspiration surgissant, comme par association d'idées, des séquences précédentes.Toute une tradition surréaliste, littéraire et cinématographique, affleure dans La bête de miséricorde qui a pour "elle", la grâce renversante et un peu rude d'un "cadavre" particulièrement "exquis".La Bête de miséricorde
Réal. : Jean-Pierre Mocky
Avec : Jean-Pierre Mocky, Jackie Berroyer, Bernard Ménez, Patricia Barzyk
Film français (2001)
Durée : 1h30mn
Date de sortie : 17 Octobre 2001
La Bête De Miséricorde