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Le film s’ouvre sur un plan à travers la fenêtre d’un véhicule, long « traveling » sur le grillage blanc séparant la route de la lande, dont on ne distingue que des lambeaux verts pris dans une brume épaisse. Le second, fixe, passe du côté de la « Jungle » où 12 000 âmes ont trouvé refuge ; en arrière-plan, le passage des camions reste, lui, bien visible des migrants qui ont échoué ici, aux abords du port de Calais et du tunnel sous la Manche. Une fois cette frontière franchie, et avec elle posée la question du regard, Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval ne quitteront plus, 3 heures et demie durant (pour un an de tournage entre 2016 et 2017), cette « ville » et ses habitants, érythréens ou afghans, soudanais ou syriens, jeunes pour la plupart. Ils écoutent leurs histoires, observent leurs gestes quotidiens, prennent le pouls de cette communauté poussée hors du monde. Pas de voix off, peu de questions, quelques percées de musique extradiégétique, c’est l’image (vibrante) et le montage (patient) qui font narration dans ce lieu suspendu entre passé et futur, peuplé de héros d’une Odyssée non voulue, brutalement répétitive, privée de tout sens mythologique. Pourtant l’espoir surgit, par-delà l’incertitude devenue mode de vie, entretenu comme ces feux chétifs qui permettent de ne pas succomber au froid après avoir échappé à tant d’autres façons de mourir. Ce séjour dans l’hors-champs brasse en creux toutes les grandes questions de notre époque avant de nous laisser pantois, face à la mer comme une ultime frontière. Celle qui reste toujours à franchir, celle qui est en nous.