- Fluctuat
Sur l'affiche du film on voit trois femmes. Petites, prises en contre-plongée au milieu des ombres et d'une immensité froide, elles forment une unité. Comme si ensemble, elles allaient mieux résister au monde. Illusion ou réalité ?
Otar est parti en France. Médecin, il a réussi à quitter sa famille et le marasme géorgien pour aller au pays des Droits de l'Homme. Il s'est déraciné pour se confronter au rêve. Sa mère, Eka, interprétée par la délicate Esther Gorintin, est une vieille slave. Elle est d'une autre époque : la grande Russie et le français lui sont comme un idéal de la distinction. Elle vit sous le même toit que sa fille et sa petite-fille Ada, et partage avec cette dernière l'amour de la langue de Voltaire en lui faisant lire les lettres du fils prodige. Ainsi voit-on l'autre côté du miroir, ce qui reste une fois que le départ a eu lieu. Non pas l'extraordinaire de la découverte d'un monde nouveau mais l'ordinaire de celui qui n'est pas parfait, qui est l'Ici, là où on rêve de l'Ailleurs. Entre ces deux pôles, la réalisatrice esquisse les questions cruciales de l'émigration et se concentre sur quelque chose de plus universel. A la question pourquoi quitter son quotidien et se couper de ses racines, elle préfère un pourquoi laisser les siens et quitter sa mère, comment faire pour couper le cordon ombilical.Jalousé par sa soeur, car il ne se coltine pas la pénurie, le chômage et les coupures d'électricité quotidiennes, Otar est surtout présent par le vide qu'a créé son départ. Remplacé par le courrier et l'argent envoyé, il vit avant tout dans l'imaginaire de sa famille. Eka l'imagine tel qu'en son idéal, quitte à modeler ses souvenirs selon ses désirs. Parti ou disparu, cela devient bientôt la même chose car Otar meurt. De peur que la vieille femme ne le suive, trop choquée, sa fille décide de lui épargner cette nouvelle. Aussi doit-elle porter avec sa propre fille le poids de cette nouvelle et ses conséquences. Elle se prive et cache un peu d'argent dans les lettres françaises inventées par Ada. Qu'a-t-elle à y gagner ? demande bientôt la très fine réalisatrice. La perversion d'une telle démarche n'est pas à négliger, pourtant rien n'est trop lourdement montré.Au-delà de la beauté irradiante des actrices mise en valeur par une lumière et un cadre parfaitement travaillés, la réalisatrice ose des plans chipés au documentaire, dont elle est d'ailleurs issue. Ainsi toujours les personnages semblent-ils en équilibre précaire. Bertuccelli ne bascule jamais dans le tragique, tout est filmé à une juste distance. Elle reste dans l'intime sans jamais être voyeur. Peut-être y aurait-il là un lien de parenté entre nombre de jeunes réalisatrices françaises - on pense notamment à Siegrid Alnoy qui vient de réaliser Elle est des nôtres mais également à Solveig Anspach (Haut les coeurs notamment, en 1999) Toutes s'emparent de sujets intimes qu'elles filment sans emphase, qu'elles laissent aller jusqu'au bout de leur libre cours.Depuis qu'Otar est parti
Réal. : Julie Bertuccelli
Grand Prix de la semaine de la Critique Cannes 2003
Avec Esther Gorintin, Nino Khomasuridze, Dinara Drukarova, Temur Kalandadze, Rusudan Bolqvadze...
France-Belgique, 2002, 1h 42mn
Sortie nationale le 17 Septembre 2003
- Le site du distributeur : Haut et Court
- Lire la chronique de Elle est des nôtres de Siegrid Alnoy