Chemins De Traverse

Le capital sympathie de Manuel Poirier est mérité. Il repose notamment sur des films comme « Western » ou « Les femmes ou... ». Des films aimables, drôles et touchants. Accompagné de son éternel compère, Sergi Lopez, son nouvel opus, au titre séduisant, fait écho à des thèmes déjà abordés et promettait donc un beau voyage. Hélas, il manque, cette fois, ce petit supplément d'âme qui illuminait ses précédentes réalisations.
Victor, flanqué de son fils, Félix, arrive dans un nouveau meublé. Sa dernière conquête est présente, malgré le regard réprobateur de l'adolescent qui constate, impuissant, qu'elle va partager leur quotidien. Mais ce quotidien ne dure pas longtemps, comme tout ce qu'entreprend Victor.Sergi Lopez est Victor. Un nom qui sonne comme une victoire. Mais, de victoire, il n'est pas question pour lui. Au contraire, de désaveux en échecs, de combines minables en escroqueries involontaires, Victor n'arrête pas de perdre. Du coup, il ne reste jamais bien longtemps au même endroit. Un peu perdu, il erre sur les routes de Bretagne à la cherche d'un foyer, d'un boulot et d'un peu de stabilité. Monotone à force de changements, cette vie agace Félix qui, pourtant, ne manifeste pas son mécontentement. D'ailleurs, ces deux là ne dialoguent jamais. Certes, Victor lui répète qu'il doit travailler à l'école, mais il offre, en parallèle, l'image, pathétique, d'un père qui, chaque jour, fait le contraire de ce qu'il affirme. De longs plans fixes, en particulier lors des repas, soulignent cette absence de communication. Il ne se passe rien, si ce n'est qu'ils sont ensemble.Chemins de traverse, titre faisant écho à des thèmes qui nous avaient déjà enchantés lors des précédents films de Manuel Poirier, interprété par l'éternel compère, Sergi Lopez, promet donc un beau voyage. D'où vient, alors, cette impression de rester au bord de la route ? D'un film de Manuel Poirier, on n'attend pas une épopée hollywoodienne. Ce qui importe n'est pas l'histoire en elle-même, mais plutôt ce qui se passe dans les interstices, ces petits riens qui composent l'existence, ces hésitations, qui font apparaître les fêlures, et sont le charme des êtres humains. Tout ce que le cinéma a tendance a gommé parce qu'il considère cela comme des imperfections, alors que ces aspérités sont souvent sources de beauté. En présence d'un tel cinéma, si différent, il faut savoir être patient. Mais la patience finit pas manquer au cours de ces Chemins de Traverse. Le réalisateur s'y montre jusqu'au-boutiste dans sa façon de s'attarder sur le rien, de souligner l'absence de dialogues ou d'horizons. Au point d'être austère, et un brin ennuyeux. Il manque cette étincelle qu'il avait si bien su capter, ces moments de communion entre les êtres qui semblaient pris sur le vif, lors de ces autres réalisations.Pourtant, il filme toujours, avec talent, des scènes improbables, difficiles et rares, qui se jouent sur une durée humaine, de celles qu'on connaît en tant que personne. Ce temps n'est pas celui du cinéma, mais celui de la vie : l'émotion peut y naître. Or, ici, elle est trop rare (scène du restaurant), paraît artificielle (chansons d'Edith Piaf dans un contexte lacrymal appuyé) ou convenue (scène finale). Ni, les compositions du jeune Kevin Miranda ou de Sergi Lopez ne sont en cause, encore moins celles des femmes, uniques rayons de soleil de cette triste odyssée. C'est plutôt l'absence de ruptures de ton qui crée l'ennui. Au final, on aura, certes, assisté à l'évolution lente, imperceptible et assez fine de deux caractères proches de la rupture, mais sans qu'ils nous touchent vraiment, en restant étranger à leur détresse. Plat comme la mer, étale, qui ouvre et clôt ce film un peu fade, la dernière réalisation de Manuel Poirier manque de ce petit supplément d'âme qui illuminait ses précédentes réussites.Chemins de traverse
Un film de Manuel Poirier
Avec : Sergi Lopez, Kevin Miranda.
Sortie nationale le 10 mars 2004[Illustrations : DR Pan Européenne Distribution]
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