- Fluctuat
Long mais captivant. Dur mais franc. Blood and Bones a la puissance, le charisme, la violence de son personnage principal incarné par Takeshi Kitano. Au programme, du sang, des os, une tranche d'histoire, mais surtout la dissection sans concession d'une face sombre de l'âme humaine.
En 1923, la Corée est occupée par le Japon depuis 18 longues années. Kim Sun-Pei, jeune Coréen, émigre vers Osaka, avec une idée en tête : faire fortune, envers et contre tout. Contre tout, en particulier. Plongé dans un conflit permanent avec sa famille, ses voisins, et le reste du monde, l'homme a les poings qui le démangent régulièrement. Pour se soulager, il frappe. Pour faire l'amour, il frappe. Pour avoir un peu de respect, pareil. Jusqu'à obtenir ce qu'il veut. Pas de quartier pour femmes ou enfants, tous sont logés à la même enseigne. A ce rythme, Kim Sun-Pei ne peut que finir seul. Riche peut-être, mais de plus en plus seul Du sang et des os ? Le titre est réducteur. Kim Sun-Pei règle tout à la force des poings, vit violemment, aime violemment si on peut parler d'amour, rencontre, emploie, communique violemment. Soit. Mais sang et os ne sont jamais exhibés dans le film. Point de carnage sanglant ou d'images choc racoleuses. A chaque coup porté c'est le réalisme qui prime, laissant de côté la dimension spectaculaire que pourraient prendre les multiples altercations. C'est brut et brutal mais sans fioritures, ni atténué ni amplifié, en forme de constat. Les plans sont fixes, calmes, composés simplement, pour un résultat d'autant plus dur psychologiquement. Plus efficace aussi. Dans la même optique, l'ensemble du film dresse des portraits, dessine un tableau historique, distille des idées, sans jamais insister. Un parti pris intelligent, qui raconte sans rien imposer.Pas de pamphlet historique, donc. Le film, adapté d'un roman, propose certes un récit chronologique qui couvre près de soixante ans d'une sombre histoire pour les deux pays concernés. Mais la réalisation reste centrée sur l'individu, le côté fresque historique ne transparaissant qu'à travers le destin particulier du protagoniste principal et de son entourage. C'est au fil de la fiction que le contexte historico-politique prend forme, que les décors peignent les campagnes japonaises du siècle dernier, que l'évolution du mode de vie se fait jour, en filigrane. Indéniablement, Blood and Bones propose une plongée captivante vers le Japon entre 1920 et 1980, mais c'est en arrière-plan seulement que sont abordées les questions de l'immigration coréenne et de la triste occupation de la Corée par le Japon, les relents nauséabonds de cet épisode historique trouvant leur expression dans l'effrayante personnalité de Kim Sun-Pei.Central, diablement bien interprété par Takeshi Kitano, le personnage est passionnant. Moins monolithique qu'il n'y paraît, il incarne une sorte de bête humaine, mais humaine justement, dimension qui affleure rarement mais assez pour semer le doute. La plupart du temps haïssable, l'homme est traversé de rares éclairs de tempérance. C'est là sans doute que se situe le vrai sujet du film : la difficulté à cerner la nature humaine, l'équilibre délicat qui s'établit entre les bas instincts et la facette éduquée, les incroyables extrémités auxquelles la haine et l'avidité peuvent mener. Pour exemple, le fils même de Kim Sun-Pei, narrateur de l'histoire, ne se positionne ni en souffre-douleur ni en révolté. A la fois blessé et désireux de se rebeller, il n'en est pas moins égoïste et lâche par certains côtés. Inspirant pitié aussi bien que dégoût, il pose également la question de l'héritage. Génétique, éducation, contexte dans ce tableau somme toute assez complexe de l'âme humaine, tout apparaît intimement lié.Blood and Bones
Un film de Yoichi San
Japon, 2004
Durée : 2h20
Avec Takeshi Kitano, Hirofumi Arai, Kyoka Suzuki
Sortie salles France : 20 juillet 2005[Illustrations : Blood and Bones. Photos © ARP Sélection]
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Blood and bones