Peut-être le final le plus émouvant de l'histoire de la télévision.
Avant d'appuyer sur lecture et de commencer le final de The Leftovers, on a eu ce petit pincement au coeur. Ce léger doute. Cette crainte lancinante de voir la fabuleuse série biblique de Damon Lindelof se terminer en apocalypse scénaristique. Il faut dire qu'on a encore tous en tête le dernier épisode de Lost, cette conclusion boiteuse, à la fois pensée pour les fans et détestée par les fans. Alors comment réussir à boucler l'histoire de The Leftovers sans tout gâcher ? Comment donner des réponses, tout en restant au-dessus de la mêlée ? C'était le défi de Lindelof et son équipe. Le contrat est magnifiquement rempli. "The Book of Nora" restera certainement comme l'un des plus beaux finals de tous les temps. Attention spoilers !
Parce que chaque plan, chaque dialogue, chaque explication respire la sincérité, on embarque avec passion pour le dernier voyage de Nora, à bord de la "Machine". La jeune femme veut aller retrouver ses enfants de l'autre côté. Elle fait ses adieux à Matt, se met littéralement à nue et prend une grande réspiration. Est-elle partie ? On la retrouve des années plus tard. Elle se fait appeler Sarah et vit recluse au fin fond de l'Australie, plus désœuvrée que jamais. Triste. À l'écart de la vie. Jusqu'au jour où, sans prévenir, Kevin vient frapper à sa porte. Feignant d'abord avoir oublié toute leur histoire, il finit par lui avouer la vérité : cela fait des années qu'il est à sa recherche. Des années qu'il vient en Australie à chaque vacances, montrer sa photo à tous les gens qu'il croise. Parce qu'il n'a jamais réussi à accepter l'idée qu'elle aurait disparu, pour toujours.
"C'est simple, c'est une histoire d'amour", résume Damon Lindelof dans TVLine. "On ne voulait rien de spectaculaire. Pas de twists ou de retournements pour bousculer le spectateur. On voulait rester fidèle à ce que fut le show. D'ailleurs, quand nous avons pitché cette saison à HBO, j'avais avec moi un script de quelques feuilles, dont les premiers mots étaient : "Ceci est une histoire d'amour" (...) Alors je ne sais pas si je veux réduire la série entière à l'histoire de Kevin et Nora. Parce que c'est aussi une série sur la famille, le deuil. Mais au centre de tout, il y a cette question : peut-on retrouver une famille, après avoir perdu la sienne ? Peut-on aimer encore, après avoir perdu l'amour ?"
Ou comment Nora est devenue, au fil des saisons, l'héroïne de l'histoire. Une martyre magnifique, trimballant avec elle toute sa souffrance, devenant le symbole désespéré de ceux qui restent. Lindelof a ainsi choisi de laisser partir tous ses autres personnages, pour se recentrer entièrement sur elle. Carrie Coon en vaut la peine. L'actrice livre, dans ce final empreint d'une douce acceptation, une performance d'un autre monde, entre colère, fatalisme et désillusion. Nora est fatiguée, résignée, mais le dernier chapitre de son livre n'est pas encore écrit.
Lors d'un ultime face à face avec Kevin, elle lui raconte ce qui lui est arrivé, le jour où elle a pris la Machine. Elle explique être passée de l'autre côté, l'endroit où sont allés les 2% de la population mondiale, disparus le même jour, en ce fameux 14 octobre. Elle raconte comment, après des mois de voyage en bateau pour rejoindre la côte est américaine (parce qu'il n'y a "pas vraiment d'avions là-bas. Ils ont les ressources, juste pas assez de pilotes"), elle a fini par retrouver sa famille. Cachée, de loin, elle a ainsi observé son fils, désormais adolescent et sa fille, âgée de 11 ans environ, suivis de leur père... et sa nouvelle compagne. C'est là qu'elle a compris que sa place n'était pas dans ce monde, mais dans le sien, celui où elle aurait dû rester. Alors elle a cherché un moyen de rentrer. Elle a retrouvé le Dr Van Eeghen, le concepteur de la "Machine", le premier à avoir traversé vers ce monde parallèle. Elle l'a convaincu de fabriquer une autre "Machine", pour qu'elle puisse faire le chemin inverse. Après des années, elle a donc retrouvé "sa" Terre.
Mais pourquoi n'a-t-elle pas rappelé Kevin à ce moment-là ? "Beaucoup de temps était passé. Il était trop tard. Et d'ailleurs, si je t'avais dit tout ça, tu ne m'aurais jamais cru." Mais sans sourciller, sans hésiter, le shérif la rassure. Quelques mots qui vont renverser la table, faire couler des larmes sur nos joues et redonner le sourire à Nora : "Je te crois".
Toute la série est là, résumée en cet instant. Croire ou ne pas croire, telle est la question. Nora dit-elle la vérité à Kevin ? A-t-elle vraiment été de l'autre côté ? Existe-t-il seulement un autre côté ? Kevin est-il le Messie ? Dieu a-t-il un plan pour l'humanité ? Avec une sagesse désarmante, la série nous explique que, finalement, les réponses n'ont pas beaucoup d'importance. Que de savoir si le voyage de Nora fut réel ou métaphorique ne change rien. Cette expérience lui a permis de se retrouver. De faire le deuil. De tourner la page. De continuer à vivre. Que ce soit la vérité, un fantasme ou une hallucination, elle a bel et bien vécu une transformation. Quelque chose lui est arrivé.
Et c'est là toute la beauté de la parabole The Leftovers. Contrairement à Lost, il ne s'agissait pas de résoudre un mystère ou de s'échapper. Parce qu'on ne s'échappe pas de la vie. On vit avec. Au fil des trois saisons, Kevin, Matt et Nora ont essayé, encore et encore, de trouver une issue de secours, pour apaiser leur souffrance, leur rage, leur chagrin. Jusqu'à s'imaginer une destinée messianique, dans cette saison 3. Et ce final joue magistralement avec cette idée qu'on garde tous, au fond de nous, une petite place pour le divin. Parce qu'il est plus facile de croire. Comme Kevin choisit de croire en Nora.
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