Yellowstone
Paramount

La première création télé de Taylor Sheridan (lancée en 2018 aux USA) est un western moderne avec des cow-boys, des Indiens et Kevin Costner en patriarche dur à cuire, vestige de temps anciens...

Pour Taylor Sheridan, scénariste de Sicario et Comancheria, auteur complet de Wind River et du prochain Those who wish me dead, Yellowstone (qui débarque aujourd'hui en France sur Salto, trois ans après son lancement aux USA) est plus que l’oeuvre d’une vie, un rêve de petit garçon.

Voilà un type qui a été biberonné au western, aux personnages du genre « costaud et silencieux » (comme disait Tony Soprano à propos de Gary Cooper) et qui en a conçu une vision du monde et du cinéma : les temps changent, les boussoles (morales, esthétiques) s’affolent dans tous les sens, les héros d’hier deviennent au pire les vilains d’aujourd’hui, au mieux des reliques pathétiques, bref, on ne peut plus jurer de rien. Outre que Kevin Feige serait bien inspiré de lui confier un Captain America, rarement Sheridan a-t-il mis en place cette poétique traditionaliste (réactionnaire ?) aussi ouvertement que dans Yellowstone. Au fond, ce sont là le seul sujet – dramaturgique – et le seul objet – théorique – de la série : le western est-il encore possible, peut-on encore y croire, y adhérer ou doit-on au contraire acter tristement que, de par ses archétypes mêmes, le genre est désormais du mauvais côté du fusil ?



Comme dans toute bonne tentative western du XXIe siècle, la dette est immense envers L’homme qui tua Liberty Valance, film clé dont l’icône mélancolique (John Wayne) savait céder la place à la marche du progrès, qui signifiait pire que sa défaite, son effacement, sa disparition. Kevin Costner, son héritier, n’a pas la même grandeur d’âme. Attaqué de toutes parts, il s’accroche à ses biens, à son nom, à son ranch, en se plaçant au-dessus de la loi, de la justice et de la morale, par réflexe davantage que par principe. C’est la beauté tragique de Yellowstone : les héros n’en sont pas, parce que la situation et le genre ne le permettent plus. Il n’y a plus que l’orgueil : celui des businessmen indiens voulant récupérer les terres de leurs ancêtres (par esprit de vengeance historique), celui des promoteurs cherchant à prouver qu’ils ont leur place dans le Montana et en font un enjeu de virilité, et celui de John Dutton (Costner), qui engagera la chute morale de sa famille, de ses fils, de sa fille, plutôt que de lâcher un pouce de terrain.

En pater familias dur comme les fers de son cheval, Costner peut être vu comme descendant direct du Mitchum de Celui par qui le scandale arrive de Minnelli. De retour d’Irak, Luke Grimes est caractérisé comme dans un film du Nouvel Hollywood, d’autres personnages se croient dans Succession, dans Dallas ou dans un drame Sundance. Et au milieu, l’atout dans la manche, Cole Hauser incarne une naïveté westernienne bouleversante d’anachronisme, en cow-boy orphelin défini par le courage, la loyauté et la fidélité à une famille et à une cause qu’il sait pourtant indéfendables. Dans Yellowstone, le déterminisme triomphe sans partage, porteur de regrets éternels et de fuites en avant irréparables. Si l’on demandait à John Dutton s’il est le héros de Yellowstone, il hausserait tristement les épaules, pleinement conscient d’être par nature un frein à l’époque, à la démocratie et à l’émancipation. Dans Liberty Valance, il ne serait ni James Stewart ni John Wayne, mais Lee Marvin. Oui, le monde a bien changé.