Ouija
© Jean-Louis PARIS - FTV - KWAI - BIG WINDOW

Thomas Bourguignon, le réalisateur de Ouija, un été meurtrier, revient pour nous sur les influences de sa série fantastique.

Diffusée à partir de ce soir sur France 3, Ouija, un été meurtrier, est une mini-série qui met en scène des jeunes lycéens français et leurs correspondants allemands. Au début des années 80, à la suite d'une étrange disparition, ces ados vont en effet se lancer dans une enquête paranormale qui va les faire remonter à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Surnaturel, sociologie et humour font bon ménage dans ce show réalisé par Thomas Bourguignon et porté par Patrick Mille, Bruno Solo et Ophélia Kolb. Thomas Bourguignon lève un peu le voile avant la diffusion des trois premiers épisodes.   

Comment est né Ouija, un été meurtrier

Avec mon co-auteur Jörg Winger, on a voulu d’abord raconter les relations franco allemandes et leur évolution à travers le temps. Plus spécialement à partir de la fin de la guerre en 1945. Ça nous paraissait important de montrer comment ces relations entre la France et l'Allemagne ont évolué jusqu'à ce qu'aujourd'hui elles ne posent plus problème. Nous, on a grandi en pensant qu’on était des ennemis héréditaires. 

D’où l’idée de situer l’action en 82 ? 

Exactement. C’est le moment où on était adolescent, Jörg et moi, et c’est par ailleurs l’année d’un événement vraiment traumatique pour le monde entier : la demi-finale de foot entre la France et l'Allemagne, avec le choc entre Battiston et Schumacher. Ça, c'est toujours pas digéré et d’un point de vue symbolique c’est un noeud crucial dans l’histoire de nos deux pays. Par ailleurs, 82, c’est aussi  l'année de la sortie de ET qui fut LA référence sur laquelle on s'est appuyé d'un point de vue stylistique. 

Il y a 82 donc, mais Ouija remonte aussi jusqu’en 1944…

Là, la haine envers les Allemands était à son maximum en France puisque ce fut le moment de la libération et de l'épuration. Ce qu'on a voulu mettre en scène, c'était la liaison entre ces deux époques. On ne voulait pas faire un récit en 44 d’un côté, et puis une histoire en 82 de l’autre. On cherchait un moyen - à priori fantastique - de connecter ces deux temporalités. Et on s'est souvenu que, adolescents, on avait fait tourner des tables. On avait fait du Ouija. En cherchant un peu l'origine de ce jeu, on est tombé sur son étymologie : quand on demande à esprit s’il est là, l'esprit répond et tape trois fois pour oui. Oui en français, et Ja en allemand. Oui-Ja... 

Ouija
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L'originalité de la série, c'est effectivement qu’elle mélange cet aspect sociologique - la vie dans un petit village français - avec des éléments fantastiques et de l'humour. Comment avez-vous dosé tous ces éléments? 

On s’est d’abord replongés dans les 80s ; on a revu beaucoup de films et de documents de l'INA d'époque pour se réapproprier le parler de ces années-là qui est vraiment très particulier. Me replonger dans ce lexique fut comme une madeleine de Proust. Et on s'est également rendus compte que, à cette époque, se dessinaient de nouveaux rapports entre les hommes et les femmes, entre les Français et les personnes d'origine maghrébine. Le monde était en train de changer et on a cherché à le mettre en scène. Il fallait aborder le racisme, le féminisme et la misogynie. Mais on a choisi de s'en emparer d'une manière légère, presque comme une comédie - ça c’est une leçon tirée de mon admiration pour Kubrick. Quand il a fait Folamour et qu’il aborde la menace de l'extinction de l'humanité par la bombe atomique, il le fait sous forme de farce. Le versant comique, la légèreté pour traiter ces thèmes, nous permettait de rester très vivant. Et cela venait contraster le point de vue des ados, pour qui tout est vécu de manière intense. Chez eux, tout est forcément dramatique. Tous ces contrastes nous paraissaient essentiels pour la série. 

Ces contrastes ont-il dicté vos choix de casting et votre direction d’acteurs ?  

J'aime jouer avec les acteurs et avec les attentes du spectateur. Tout était très écrit. On a fait beaucoup de répétitions avec les comédiens pour arriver à cet équilibre entre le drame et l’humour, l’intensité et la légèreté. Et j'ai réécrit certains dialogues pour que chaque personnage ait une partition extrêmement précise qui corresponde avec les choix de mise en scène. On a notamment été très vigilant sur le tempo. La comédie c’est du rythme, et parfois, il faut laisser durer un silence ou un mot une seconde de plus pour que ce soit drôle. Mais c'est vrai : c'est cette volonté de contraste qui a guidé le choix des acteurs. Bruno Solo ou Patrick Mille sont dans des rôles où l’on n’a pas forcément l’habitude de les voir évoluer. Ophélia Kolb également. Avec elle, on a beaucoup travaillé le rythme justement. Parfois elle jouait une scène de manière très staccato, comme une mitraillette, et a d’autres moments, elle y allait très lentement. Avec Patrick, c’est différent, parce qu’il est toujours à la limite et ça j’adore. Il a amené un petit peu de théâtralité, parce que son personnage joue un rôle, il n'est jamais naturel. Il instille ce sentiment de malaise qui devient drôle et glaçant en même temps. Un côté chaud froid. 

Ouija
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Il y a constamment ces contrastes dont vous parlez, mais la série penche aussi progressivement vers plus de noirceur et de fantastique. 

Au fur et à mesure qu'on avance, les liens entre le passé et le présent s'approfondissent. Et ce qui s'est passé en 44, qui est très dramatique, va rejaillir sur le présent des personnages en 1982. L'Histoire remonte à la surface, tout comme le fantastique. Et les ados vont devoir s’investir pour régler les problèmes du village. Mais, si c’est parfois très sombre, on voulait tout de même constamment garder le côté léger, l'humour. C'est la raison pour laquelle on fait évoluer tous ces personnages dans des décors très colorés, très beaux. Encore une fois, pour garder l'idée du contraste.

C'est vrai que la série est très stylisée. 

Oui, on voulait être réaliste - sur la mode, les attitudes, le langage, le look - et en même temps très stylisé. On a travaillé les nuits pour créer un sentiment fantastique - c’est rouge, comme sur Mars ! Ca participe de ce sentiment fantastique qui progressivement imprégner la série. 

Vous parliez de ET tout à l'heure. La série m’a beaucoup fait également penser à Stranger Things avec cette idée de fétichiser toute la pop culture des 80s…  

L'idée de la fétichisation me passionne. Mais on n'a pas revu Stranger Things. On est reparti aux sources : Spielberg et les films Amblin pour façonner notre propre recréation des années 80. Quand on se souvient de ces années-là, c'est à la fois à travers le prisme de nos souvenirs, mais aussi de notre cinéphilie. Il y avait les films, et les objets. Un magnétoscope, le Rubik's cube, les 4L, les K-Way…. Et on a désigné tout cela avec beaucoup de réalisme mais aussi beaucoup de libertés. On voulu que ces “fétiches” soient vus à travers le fondu enchaîné des époques. Parfois, je regarde des films et le réalisme excessif porté aux décors, aux costumes ou au langage rendent les choses un peu ridicules. C'était vraiment une époque super cool, avec des aspects parfois étranges pour aujourd'hui, mais en tout cas, sur le plan visuel et sonore, très séduisant encore de nos jours. Et je voulais qu’on ressente cela. Du coup, on a choisi des vêtements ou des sons qui sont à la fois de cette époque-là mais aussi d’aujourd’hui. On a pratiqué un mélange des genres qui nous permettait de rendre cela à la fois distant et très proche. C’est l’esprit de la musique qu'a imaginée Yuksek. Il fait de l’électro totalement contemporain, mais comme c’est un fou des synthés des années 80, il a utilisé des instruments analogiques pour retrouver le grain et la chaleur de l’époque. Au fond, on a tout fait pour éviter de se retrouver au musée Grévin ou chez Madame Tussaud (rires) !

Est ce qu'il y avait un message que vous vouliez transmettre à travers cette histoire ?

D'abord on espère que les spectateurs vont aimer cette histoire policière, paranormale et ludique. Mais on a voulu aussi rappeler que l'amitié entre les peuples est une construction, au même titre que la haine. Pendant des années, on nous a fait croire qu’on était ennemis de l'Allemagne et puis, avec la construction européenne, on nous a fait comprendre qu’on pouvait être amis, alliés, et co-constructeurs de notre destin commun. C'est une construction qui reste fragile et dont il faut prendre soin. Cette amitié ne va pas forcément de soi. Pour les jeunes d'aujourd'hui, c’est une évidence. Mais si on se replonge 40 ans en arrière, c'était absolument inimaginable. Personne n’aurait pu prévoir qu'on serait si proche aujourd'hui. Ça fait 80 ans qu'il n'y a pas eu de guerre sur le territoire européen, mais il y a la guerre à nos portes, en Ukraine. C'est la plus longue période de paix qu'on ait jamais connue et c'est grâce à cette construction européenne qui est souvent honnie. On a un amour difficile, complexe, pour cette construction européenne, et je peux le comprendre. Mais en même temps, c'est cela qui nous permet de vivre en paix en Europe aujourd'hui. S’il y a un message dans Ouija, alors, ce serait celui-là.

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