Dispatches from Elsewhere
AMC

Bien loin de l'univers de How I met, l'acteur est aussi le créateur de cet étrange objet télévisuel tellement attachant, qui sort en France ce vendredi sur Amazon.

Pour sa première création télévisuelle, Jason Segel n'a pas manqué d'ambition. En adaptant en fiction la troublante expérience sociologique du Jejune Institute, rendue célèbre par le documentaire The Institute (en 2013), l'ex-Marshall Eriksen de How I met your Mother change radicalement de registre. Avec Dispatches from Elsewhere, il signe une oeuvre à part, presque indescriptible, emplie de personnages paumés et attachants. Un projet très personnel, comme il nous le raconte. Attention spoilers !



Dispatches from Elsewhere, c'est une série vraiment unique, étrange et tendre. Comment la décririez-vous ?
Jason Segel : Merci déjà ! Mais c'est une bonne question... C'est une série très compliquée à décrire. Je dirais qu'elle est à la fois flippante, sincère, romantique, mais j'aime aussi à croire qu'elle représente un acte de défiance.

Pourquoi aviez-vous envie de raconter cette histoire, d'adapter en fiction ce documentaire The Institute (sorti en 2013) ?
Je trouvais que ça avait beaucoup de sens de montrer ce groupe de personnes, qui refuse d'accepter ce monde calibré, qui refuse de se conformer au moule et décide, au contraire, d'en faire quelque chose de beau, en accord avec leurs principes. Ce sont des gens qui prennent les choses en mains et font du monde ce qu'ils veulent qu'il soit. Je crois que c'est un très beau message à transmettre.

A titre personnel, comment vous avez perçu ce documentaire fou, quand vous l'avez vu pour la première fois ?
J'étais en train de me préparer pour jouer l'écrivain torturé David Foster Wallace (dans le film The End of the Tour, sorti en 2015). J'étais en pleine lecture de son livre phare Infinite Jest (1996)... Alors de fait, j'étais plongé en pleine réflexion sur la crise existentielle. Du coup, je suppose qu'une partie de mon cerveau était vraiment très inspirée par ce genre de chose à ce moment-là. J'ai eu une réaction très intense à ce documentaire, peut-être un peu disproportionnée d'ailleurs. Il m'a beaucoup ému. Cela faisait très longtemps que je n'avais pas été touché à ce point par quelque chose, que je n'avais pas eu envie de m'engager à ce point dans quelque chose. Peut-être depuis les Muppets (le film de 2011)...

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Avez-vous envisagé de ne pas jouer dedans ? Ou est-ce que vous vous êtes identifié tout de suite au personnage de Peter ?
Vous savez, quand j'écris, j'écris toujours en pensant à un rôle que je pourrais jouer. Parce que j'adore jouer, et le temps passe vite... Donc j'ai tendance à choisir des projets pour lesquels je peux faire un peu tout. J'aime bien toucher à toutes les parties d'un projet, j'y trouve a une sorte d'alchimie. Et puis je me retrouve dans tous les personnages de Dispatches from Elsewhere, dans leurs complexités.

Vous avez décidé de caster Eve Lindley, une actrice transgenre, pour jouer le premier rôle féminin romantique, ce qui est très rare dans une série. Pourquoi avez-vous pris cette direction ?
Parce que je trouvais que le personnage de Simone était une formidable opportunité de transformer quelque chose de singulier, quelque chose que les gens voient comme différent, en quelque chose de familier. Montrer au fil des 10 épisodes, qu'au-delà des préjugés, on est tous bien plus similaires que ce qu'on pense. J'y ai vu l'opportunité de peindre un être humain accompli, tout simplement. Mais c'est le cas avec ces 4 personnages : on a tendance à réduire les gens à des stéréotypes, à une seule dimension de leur personnalité, à une seule de leurs caractéristiques, au lieu de voir la personne en entier, dans toute son humanité.

Dispatches from Elsewhere
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Qu'est-ce que vous voulez exprimer à travers le Jejune Institute ? Qu'est-ce qu'il symbolise ?
Au début de la série, on comprend qu'il y a deux camps qui s'affrontent : le Jejune Institute et la Elsewhere Society. Pour moi, cela représente le conflit entre l'art et le commerce. Le capitalisme contre une certaine forme de liberté d'expression. Au long de la saison, on montre les deux côtés dans leurs extrémités. Les deux finissent par susciter de la sympathie et on essaye de faire l'union de ces deux idées. Je ne sais pas trop si cela peut provoquer de la confusion au sein du public, mais j'avais surtout envie de faire réfléchir les gens. Peut importe la confusion, j'avais envie de quelque chose d'interactif, que les téléspectateurs puisse en discuter, décider de ce qu'ils venaient de voir. Dispatches from Elsewhere est une série qui prend la forme d'un puzzle à remettre en ordre si l'on veut. Il y a des séries où l'on s'assoit, on regarde, et ils vous expliquent tout de A à Z. C'est du bon divertissement, de quoi s'évader, oublier sa journée. Mais Dispatches from Elsewhere, ce n'est pas ça. Au contraire, c'est une oeuvre qui a été pensée pour faire marcher le cerveau.

Je suis sûr que beaucoup de gens vous demandent ce que vous avez voulu dire avec ce final. Que leur répondez-vous ?
La série est un exercice d'empathie au bout du compte. Cette possibilité que, si l'on souvre aux autres, cela ouvrira des sujets de discussion bien utiles aujourd'hui partout sur la planète. Comme une app instantanée sans filtre Instagram. Ce final, c'est moi qui essaye d'arriver à cela. C'est moi qui commence la discussion en disant : voilà qui je suis. Et vous ? Qui êtes vous ?

Effectivement, dans le dernier épisode, vous incarnez un Jason Segel déprimé, dans un moment difficile de sa carrière. Quelqu'un lui dit même de "grandir". Est-ce ainsi que vous vous voyez ?
J'ai écris Dispatches from Elsewhere il y a 5 ou 6 ans, alors que je regardais la suite de ma carrière, et même la suite de ma vie, comme une page blanche, que je ne savais pas comment remplir.  J'ai passé beaucoup de temps en mode automatique, en ne sachant pas exactement ce que je voulais. Alors à mon sens, les angoisses du final symbolisent cela, quelqu'un qui ne sait plus qui il est. C'est ce que je ressentais à l'époque où j'ai commencé à mettre sur pied l'adaptation de The Institute. L'écriture de cette série, la fabrication de cette série, a été une étape très importante dans ma vie.

Dispatches from Elsewhere, saison 1 en 10 épisodes, sur Amazon Prime Vidéo en France.