La série de David Fincher sur la chasse au serial killer et les pionniers du profilage est arrivée sur Netflix.
Et si on se posait deux secondes pour réfléchir ? Et si, au lieu de courir dans des couloirs et d’exhiber son badge à tout bout de champ, on s’asseyait au milieu d’une pile de documents pour essayer de comprendre comment ça marche ? Voilà probablement tout ce qu’un producteur hollywoodien rêve de ne pas entendre. Warner ne referait pas Zodiac de David Fincher (2007) aujourd’hui. Aucune chance. Mais presque tous les canaux télé actuels, désespérément avides de séries-dossiers au long cours et d’ambigüité morale, rêvent de refaire Zodiac. La télévision est devenue ce flux constant de fonctionnaires assermentés et de procédures policières érigées en leçons de vie, une course à la vérité qui finira bien par nous noyer. Au milieu de ce déluge paperassier, Mindhunter, qui arrive ce vendredi sur Netflix.
Une série qui retourne aux origines des techniques de profiling du FBI et oeuvre non pas pour la vérité mais pour l’acceptation de l’outil humain, de l’expertise psychologique, dans le traitement des affaires de meurtres en série. Et signée David Fincher.
Le spectre de Manson
L’annonce de la mise en chantier de Mindhunter par Fincher ressemblait presque à un gag compte tenu de l’évidence : une série sur l’aube des serial killers par le réalisateur de Seven et Zodiac, produite par Netflix, heureux diffuseur de Making a Murderer. On voit tout de suite de quoi ça parle. Et puis la bande-annonce est tombée, avec ses images monochromatiques perturbantes, son montage staccato, ses flics anxieux, ses flashes d’horreur subliminaux, ses plans d’immeubles hitchcockiens, ses scènes de sous-sol, de bureaux, de médecins légistes… Pouvait-on faire encore plus Fincher que ça ? Eh bien, en fait, oui… Tirée du livre Mindhunter : Inside the FBI’s Elite Serial Crime Unit de John Douglas et Mark Olshaker, la série part (courageusement) de la crise existentielle de l’agent du FBI Holden Ford (Jonathan Groff), témoin sur le terrain d’un acte insensé qui remet en question tout ce qu’il croyait savoir sur la négociation d’otages et la psychologie criminelle. Nous sommes en 1977. Le summer of love n’est qu’un lointain souvenir mais le spectre de Charles Manson continue de veiller sur l’Amérique. John Gacy, Ted Bundy et David ‘Son of Sam’ Berkowitz entretiennent la flamme. Ce monde a changé. Le gouvernement a perdu toute autorité et la criminalité s’est enfoncée dans une spirale de violence et de barbarie qui ne répond à aucune logique. Des attaques mortelles perpétrées sur des inconnus sans raisons apparentes. Des meurtriers « en séquence » (comme les appelle Holden) qui mettent la police en échec. Comment identifier l’assassin si l’on ne comprend pas le mobile ? À Quantico, Holden pose les questions que personne ne veut entendre. Il est confié aux bons soins de Bill Tench, un vieux briscard désenchanté (Holt McCallany) avec qui il entame une tournée des commissariats du pays pour enseigner toutes les méthodes dont dispose le FBI pour coincer cette nouvelle engeance criminelle (c’est-à-dire aucune). Mais une entrevue en prison avec le tueur d’étudiantes Ed Kemper (phénoménal Cameron Britton) le conforte dans son opinion : on ne naît pas serial killer (nouvelle nomenclature), on le devient. Il y a une forme de conditionnement ; quelque chose vous arrive en cours de route. « Comment choper Dingo si on ne sait pas comment Dingo pense ? », reconnaît Bill, presque convaincu. Un dialogue qu’on jurerait sorti de Seven…
Animal social
Manson est-il fou à lier ou victime de son environnement ? À l’époque de Mindhunter, poser la question condamne à l’isoloir ou, dans le cas de nos héros, au troisième sous-sol du FBI. La série est une fascinante étude sur l’humain en tant que tissu collectif faillible, sur notre incapacité fondamentale, en tant qu’espèce, à nous regarder en face. Le moment le plus fulgurant du pilote est une longue scène de drague entre Holden Ford et sa future girlfriend (Hannah Gross, inouïe) où celle-ci le déchiffre en une seconde mais où lui n’arrive pas à additionner sa robe légère avec son occupation d’ingénieur. Par-dessus la musique (dialogues inscrits à l’écran), dans un remake inversé de la scène inaugurale de The Social Network, elle lui ouvre les yeux sur la nécessite d’élargir son point de vue de flic à la marche du monde ; tous les points de vue existent dans la société des hommes, et tous ont leur importance. Contrairement à un film comme Le Silence des agneaux, qui trace au sol une ligne de démarcation entre nous et les tueurs psychopathes, Mindhunter cherche à comprendre ce qui nous rapproche d’eux. Pourquoi sommes-nous gênés de partager des espaces exigus avec des inconnus ? Qu’est-ce qui nous pousse à agir en dehors des clous et à nous comporter parfois d’une manière qui ne nous ressemble pas ? Soit très exactement ce qui travaille en profondeur le cinéma de Fincher depuis quelques films ; l’ordre, le tissu collectif, l’homme en tant qu’animal social et spongieux. Il ne signe que quatre épisodes sur dix mais Mindhunter est sans doute le truc le plus fincherien qu’il ait jamais fait.
Commentaires