Drame familial hanté par le spectre du djihad, Les Cowboys a failli ne pas sortir à la date prévue en raison des événements tragiques de ces derniers jours.
Lors d’un rassemblement country dans l’est de la France, une jeune fille disparaît. Dès lors, son père ne cessera de la chercher en compagnie de son fils. Le point de départ du premier film du scénariste fétiche de Jacques Audiard ressemble à s’y méprendre à celui de La Prisonnière du Désert de John Ford. Normal : Thomas Bidegain est un cinéphile averti et Les Cowboys est un hommage aux westerns qui ont bercé sa jeunesse. Dans la peau des Indiens, les djihadistes, ceux des années 90, les premiers à théoriser une guerre sainte qui ne disait pas encore son nom. La sortie du film, prévue de longue date, n’a pas été reportée en dépit de l’ambiance lourde qui règne en France. Thomas Bidegain s’en explique.
Quelle est votre réaction par rapport à la tragédie qu’on vient de vivre et en quoi a-t-elle failli empêcher la sortie du film ?
D’abord, ma réaction est celle de tous les citoyens révoltés par cette ignominie, perpétrée par des ordures qui s’en prennent à la vie même. La sortie du film n’est rien par rapport à ce grand fracas, c’est un épiphénomène. Il a cependant bien fallu se poser la question de savoir s’il fallait annuler les avant-premières et déplacer la sortie. Nous avons pensé que la seule réponse de principe était de continuer. De continuer à faire des films, à proposer des spectacles, à aller au théâtre, à danser. A vivre, tout simplement. Le report, pourquoi pas, mais jusqu’à quand ? Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’attentats ? Personne, aujourd’hui, ne peut dire que ça va s’arrêter -l’interview a été réalisée avant les événements de Bamako, ndlr. Il faut montrer les films, surtout celui-là qui est justement sur notre communauté, sur notre incompréhension face à de tels événements.
Le film se concentre sur la période 1995-2011, sur la première vague, pourrait-on dire, du djihad. Savez-vous combien de Français étaient partis à l’époque ?
Peu, mais il y avait clairement eu une première lame de fond après la guerre dans l’ex-Yougoslavie. Il faut savoir que quand on a écrit le film, en 2011, le djihad était de l’histoire ancienne, il appartenait aux années 90. Il n’y avait pas Daech ni d’Etat Islamique et Bachar El-Assad était encore un grand ami de la France… Les événements n’ont cessé de nous rattraper, jusqu’à cette nuit fatale du 13 novembre. Mais ça avait commencé pendant le tournage à la frontière du Pakistan, où nous avons appris la tuerie perpétrée à la rédaction de Charlie Hebdo. Vous savez, on fait des films pour représenter le monde. On ne peut pas se soustraire aux événements qui ont cours dans la réalité.
Lorsque vous avez appris la tuerie de Charlie, avez-vous songé à réécrire certaines scènes, voire à faire des retakes ?
Non. Je ne pense pas qu’il y ait de sujets interdits, il y a juste des traitements qui sont plus ou moins bons. Avec de la rigueur et de la responsabilité, on peut parler de tout. Le Fils de Saul nous le montre bien.
Quel travail de documentation spécifique pour la partie moyen-orientale avez-vous effectué ?
J’ai fait relire le scénario par des gens qui connaissaient bien ces régions. On a également parlé avec un négociateur qui intervient au Pakistan et en Afghanistan.
La filmographie commentée de Bidegain, d'Un Prophète aux Cowboys
Vous dites qu’avec Audiard, votre credo, c’est de « trouver une idée de film, plus qu’une idée d’histoire ». Quelle était-elle en l’occurrence ?
C’était celle des cowboys et des indiens. A partir du moment où les gens pensent qu’ils sont des cowboys, ils croient que les autres sont des indiens et que les choses sont irréconciliables. Il y a d’autre part cette idée du temps qui passe et qui permet, on peut l’espérer, de bonifier les générations suivantes. Enfin, nous souhaitions faire se rencontrer la petite et la grande histoire, et un peu celle du Septième Art. Je n’ai pas fait d’école de cinéma, en revanche, la mère de mon meilleur copain d’enfance était ouvreuse à l’Action Christine où j’ai vu tous les grands classiques hollywoodiens. Les Cowboys est une façon de payer ma dette à des réalisateurs comme Walsh, Ford, Huston, Hawks, Curtiz…
Les acteurs ont-ils adhéré sans réserve au projet ?
Curieusement, oui. Plusieurs autres ont même fait des pieds et des mains pour en être.
Pourquoi un acteur belge, en l’occurrence François Damiens, pour jouer un Français ?
On dit souvent que les meilleurs acteurs américains sont anglais, on peut dire que les meilleurs acteurs français sont belges… Ça n’a pas été si facile de l’imposer dans un rôle dramatique où il dégage aussi quelque chose de violent.
Les Cowboys consacre l’ascension de Finnegan Oldfield qu’on a vu partout cette année.
Lors de la préparation, j’ai vu beaucoup de jeunes acteurs, mais Finnegan avait un truc en plus. Je ne voulais pas d’un jeune homme trop urbain, avec un phrasé moderne. Finnegan parle peu, ça tombe bien ! Quand on lui demande quelque chose, il vous le donne avec, en plus, une part de mystère.
Un dernier mot sur John C. Reilly qui interprète un agent américain un peu trouble. S’est-il imposé comme une évidence à vous ?
Il a une puissance de jeu et un côté « all american » dont j’avais besoin pour ce rôle.
Il est parfait en effet.
Je trouve aussi. (sourire)
@chris_narbonne
Bande annonce des Cowboys, en salles le 25 novembre :
Commentaires