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Retour sur le film polémique de François Margolin et Lemine Ould Salem. 

Les ennuis commencent le 19 janvier 2016 pour Salafistes, documentaire de François Margolin et du journaliste mauritanien Lemine Ould Salem, soit huit jours avant sa supposée sortie en salle. Il s’agit du jour où la Commission de classification préconise une interdiction aux moins de 18 ans, accompagné d'un avertissement du public. Un sort habituellement réservé aux contenus pornographiques ou ultraviolents, rarissime pour une œuvre documentaire en France. Le film de 70 minutes qui raconte, comme son titre l’indique, l’idéologie qui façonne la pensée de milliers de djihadistes, est présenté jeudi 21 janvier au Festival international des programmes audiovisuels de Biarritz (FIPA), où il connaît une première projection houleuse, puis une deuxième qui a bien manqué d’être annulée tellement le long-métrage suscite la polémique. Programmé aujourd'hui dans deux salles parisiennes et une en banlieue (Draveil), les directeurs de salles ont attendu que Salafistes obtienne son visa d’exploitation pour maintenir les séances. Le ministère de la Culture vient de rendre son verdict final : précisant au Monde que "le public a besoin d'une certaine maturité pour apprécier ce film"Fleur Pellerin a décidé de ne pas le censurer mais de l’interdire aux mineurs, signant de toute façon la mise à mort de sa carrière, aussi bien en salle qu’à la télévision. 

Que peut donc contenir ce documentaire autant controversé ? Après être allés à la rencontre des idéologues du salafisme en Mauritanie, au Mali, puis en Turquie et en Irak, en 2012 et en 2015, les réalisateurs entendent montrer, sans voix off, l’application de la charia au quotidien. A l’heure où nous écrivons ces lignes, Première n’a pas encore vu Salafistes mais nos confrères du Monde parlent d’images de "femmes rabrouées par la police islamique dans le nord du Mali parce que leur voile n’est pas parfaitement ajusté, d’amputation de la main d’un voleur et exécution publique d’un berger touareg (…) Les entretiens avec des responsables politiques d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et des autorités religieuses salafistes sont entrecoupées de vidéos de propagandes de l’Etat islamique et d’Al-Qaïda mais également d’images amateurs filmées lors des attentats du 11 septembre 2001 et de l’attaque contre Charlie Hebdo". Le tout est donc livré de manière brute, sans qu’aucun commentaire des réalisateurs ne soit ajouté au montage. "Les auteurs font le pari de laisser le spectateur seul face à la rhétorique salafiste, pour bien comprendre ce à quoi nous sommes confrontés" peut-on lire sur la fiche film de FIPA.

Chef-d'oeuvre éclairant ou oeuvre suspecte ? 

Il a d’abord été reproché à Salafistes de diffuser, sans la flouter, la scène du meurtre du policier Ahmed Merabet par les frères Kouachi, le 7 janvier 2015. Par respect pour la famille de la victime, celle-ci à demandé à ce que les médias floutent la vidéo amateur. Contacté par TéléramaFrançois Margolin affirme avoir coupé, entre-temps, cette séquence dans le montage de la nouvelle version du documentaire (ainsi que la scène d’amputation de la main du voleur), montrée lundi 25 janvier au ministère de la Culture. Mais cela n’aura pas suffi à clôturer le débat. Mardi 26 au soir, la Commission de classification des œuvres du CNC souhaite toujours faire interdire le documentaire aux moins de 18 ans. Ce qui dérange, dans Salafistes, c’est précisément le parti pris radical - et assumé – des deux réalisateurs, accusés de faire l’apologie du terrorisme, comme l’estime un représentant du ministère de l’Intérieur. "Balancer ces images sans voix off à un gamin français de 17 ans, quand on sait que le jeune de Marseille s’est radicalisé tout seul dans sa chambre, est-ce que ce n’est pas dangereux ?" s’inquiète la journaliste Léa Salamé mardi dans la matinale de France InterRue89 écrit, quant à lui, avoir été "gêné" par les images de propagandes de Daech insérées dans le documentaire : "(Salafistes) perd son authenticité en empruntant la mise en scène des djihadistes eux-mêmes, et, soudain, l’absence de point de vue de l’auteur devient suspecte".

A l’inverse, pour le cinéaste et écrivain Claude Lanzmann, le film de Margolin et de Salem est un "chef-d’œuvre éclairant comme jamais aucun livre, aucun ‘spécialiste’ de l’Islam ne l’a fait, la vie quotidienne sous la ‘charia’ " dans une tribune publiée sur le site du Monde et baptisée "Mme Fleur Pellerin, n’interdisez pas la sortie du film Salafistes". De son côté, le chroniqueur cinéma Vincent Malausa considère via Le Nouvel Obs qu’ "accuser les cinéastes d’avoir trouvé les moyens de témoigner de ce quotidien en utilisant une simple caméra et sans jamais se laisser instrumentaliser est une aberration".

 

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L'inspiration de Timbuktu 

L’ironie du sort veut que le documentaire ait inspiré Timbuktu, succès critique et public (plus d’un million d’entrées au compteur) d'Abderrahmane Sissako, présenté en sélection officielle au Festival de Cannes 2014 et vainqueur de sept César l’an dernier. Le réalisateur mauritanien était à l’origine greffé au projet de son ami et compatriote Lemine Ould Salem, dont il s’est retiré en décembre 2012 invoquant, toujours selon Le Monde, une question administrative. Le quotidien révèle également que Sissako aurait conservé une copie des rushs exclusifs tournés à Gao et à Tombouctou et les auraient visionnés sur le tournage de son film afin de s’imprégner au mieux du réalisme.

Contrairement à Made in France, thriller choc qui réfléchit sur la propagation du terrorisme, Salafistes aura au moins trouvé cinq exploitants en France prêts à prendre le risque de le diffuser en dépit du contexte actuel. Faute de pouvoir prendre l'affiche des salles obscures, le film de Nicolas Boukhrief sort d'ailleurs aujourd'hui en e-cinema. Le documentaire controversé pourrait, lui aussi, envisager l'avenir en se tournant vers les plateformes de VOD. Bientôt le refuge des longs-métrages sur l’Islam radical ? 

Made in France ne sortira pas en salles