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Le journaliste américain, auteur de Sexe, Mensonges et Hollywood, nous donne son sentiment sur l’affaire Harvey Weinstein.

Peter Biskind, journaliste, ancien rédacteur en chef du Première américain, est l’auteur de Down and Dirty Pictures, sorti en France sous le titre Sexe, Mensonges et Hollywood (éditions du Cherche-Midi, 2006), qui chroniquait l’essor du cinéma indépendant américain dans les années 90 et faisait logiquement une large place à Harvey Weinstein, figure-clé de l’industrie en sa qualité de boss de Miramax. Joint hier au téléphone, Biskind, observateur privilégié des mœurs et du business hollywoodien, auteur du classique Le Nouvel Hollywood (sur le cinéma américain des seventies) et de Star (extraordinaire biographie de Warren Beatty), nous livre son sentiment sur le séisme qui secoue aujourd’hui Hollywood.

PREMIERE : Quel est votre sentiment sur l’affaire Harvey Weinstein et ses incessants rebondissements ?
PETER BISKIND : Comme beaucoup de gens le disent, les histoires qu’on entend ces jours-ci étaient un secret de polichinelle (an open secret). Pas dans le détail, pas telles qu’elles sont racontées aujourd’hui. Mais on savait qu’Harvey Weinstein abusait de son pouvoir. Quand j’ai écrit mon livre Down and Dirty Pictures, j’ai entendu des rumeurs. Quelques histoires. Mais elles étaient toujours vagues, ou off the record. Il y avait des clauses de confidentialité, rien ne filtrait. Aujourd’hui l’atmosphère a changé.

Pour quelles raisons ?
Il y en a trois, selon moi. La première, c’est le scandale autour de Bill Cosby. La deuxième, ce sont les révélations sur le harcèlement sexuel qui avait cours à Fox News. La troisième, c’est qu’Harvey est moins puissant aujourd’hui. Il n’est plus le major player qu’il était et les gens ont moins peur de lui désormais.

Ça n’aurait pas été possible il y a 15 ou 20 ans ?
Non. Au milieu des années 2000, j’écrivais un portrait de Brad Pitt pour le Vanity Fair américain. Et Brad m’a raconté que Gwyneth Paltrow  avait été harcelée par Harvey Weinstein, qu’il avait voulu la protéger en disant à Harvey de ne plus l’approcher. Mais il m’avait demandé d’éteindre mon dictaphone. Personne ne voulait parler on the record à l’époque.

On vous a confié beaucoup de choses de ce genre ?
Pas tant que ça, parce que ce n’était pas le sujet de mon livre et que je ne recherchais donc pas ce genre d’infos. Dans mon précédent livre, Easy Riders and Raging Bulls (Le Nouvel Hollywood), j’évoquais la vie privée des cinéastes, parce que c’était une époque où les réalisateurs – Coppola, Scorsese, etc – faisaient des films très personnels. Si on ne connaît pas la drug culture des années 70, l’impact que la drogue a eu sur ces gens, on ne peut pas comprendre pourquoi ce mouvement est mort. Dans le cas d’Harvey, je n’avais pas le sentiment que son comportement, par ailleurs horrible et répréhensible, éclairait le business de Miramax et du cinéma indépendant. Je n’ai pas enquêté là-dessus, parce que ça aurait été un autre livre.

Etes-vous surpris de l’ampleur que l’affaire prend, jour après jour ?
Oui. Soudain, Donald Trump n’a plus toute l’attention médiatique ! A ce stade, il faudrait une guerre avec la Corée du Nord pour qu’on se remette à parler de la Maison Blanche. Et il semble bien que la boule de neige va continuer de grossir. Des journalistes commencent à enquêter sur le comportement d’autres célébrités, comme Ben Affleck. Mais ces choses, en réalité, sont monnaie courante à Hollywood. La combinaison de testostérone, de grande richesse et d’immense pouvoir entraîne presque inévitablement ce type de comportements. Si vous êtes familier de la culture hollywoodienne, vous savez que la plupart des gens de cette ville pensent que les règles ne s’appliquent pas à eux. C’était le titre du dernier film de Warren Beatty (sur la vie privée du producteur excentrique Howard Hughes) : Rules don’t apply.

Quelles conséquences cette affaire va-t-elle avoir sur Hollywood ?
Harvey était d’une certaine manière une survivance du passé. L’histoire d’Hollywood est jalonnée d’hommes come ça, à commencer par les nababs de l’âge d’or, comme Jack Warner ou Louis B. Mayer, qui étaient eux aussi réputés pour leur comportement répréhensible. Depuis que les studios sont devenus la propriété de grandes compagnies, Hollywood est beaucoup plus policé. Il n’y aura sans doute plus de comportements aussi honteux et infamant que celui d’Harvey Weinstein dans le futur. Mais je pense que la combinaison argent + pouvoir continuera forcément d’être explosive. C’est inhérent à Hollywood.

Et quelles conséquences pour la Weinstein Company ?
Difficile à dire. Bob Weinstein est tout à fait capable de diriger la boîte sans son frère, mais tout va dépendre des conséquences juridiques que l’affaire va entraîner. Je ne connais pas non plus la situation financière de l’entreprise. Les banques voudront-elles leur accorder des prêts ? La Weinstein Company pourrait bien rapidement devenir radioactive.

L’héritage artistique d’Harvey Weinstein, ce sont, entre autres, des films de Quentin Tarantino où des femmes combattent des hommes violents, des prédateurs sexuels, comme dans Kill Bill ou Boulevard de la mort
Oui, drôle de paradoxe. Mais regardez aussi toutes les causes libérales qu’Harvey a soutenues et financées, son soutien aux femmes réalisatrices. Peut-être était-ce une forme de compensation. L’expression d’une mauvaise conscience.

Toux ceux qui ont approché Harvey Weinstein parlent de son caractère particulièrement intimidant. Il a déjà cherché à vous intimider, vous ?
Je raconte dans la préface de Sexe, Mensonges et Hollywood que lors de ma première rencontre avec lui, l’atmosphère était lourde de menaces, il avait une batte de base-ball à portée de main… Je suis sorti du rendez-vous un peu nerveux.  Il savait que je voulais écrire sur lui, et m’avait demandé quels étaient mes autres projets, les livres dont je rêvais, me proposant de les publier… Tout pour me détourner du livre que je voulais faire sur lui ! Mais il pouvait aussi être charmant, séducteur. Harvey avait deux visages, et j’ai plus souvent eu affaire au bon. Ceci dit, le jour où mon fax a craché quatre lettres à la suite, venant de quatre cabinets d’avocats différents, qui cherchaient tous à perturber la publication du livre, ça oui, c’était une forme d’intimidation !