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Début novembre, alors que Made in France devait encore sortir en salles, nous rencontrions son réalisateur.

Cet entretien (publié dans le numéro de novembre de Première) a été réalisé avant les attentats du 13 novembre alors que Made in France était encore programmé en salles. Au vu de l’actualité, Nicolas Boukhrief et son distributeur ont dû renoncer à montrer ce thriller sur le djihadisme français sur grand écran et Made in France est désormais disponible en e-Cinéma. Le cinéaste évoquait les difficultés rencontrées pour faire financer, tourner et distribuer son projet déjà hautement sensible, mais parlait aussi purement de cinéma. 

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Sujet explosif

« Pour moi, c’était une évidence presque morale de faire un film sur le djihad à la suite de l’affaire Merah, qui m’a énormément marqué. Etant donné mes origines et mon parcours, je me sentais légitime pour traiter le sujet sans être suspecté d’islamophobie ou de fascisme. En étudiant la trajectoire de ce type qui, un jour, entre dans une école et tire sur des enfants à bout portant, je me suis rendu compte qu’il ne s’agissait pas d’un tueur en série, mais de quelqu’un qui se perçoit comme un soldat. Ce n’était pas le premier, ni le dernier, il y avait donc un sujet. Il fallait en parler, c’était important. Mais je ne me rendais pas compte à quel point ce serait difficile. Une fois lancé, j’ai mis des mois à trouver un producteur. Ensuite, on a eu un mal fou à obtenir le financement nécessaire, mais Canal+, en nous soutenant fortement, a permis que le film existe. Une fois terminé, les distributeurs n’en voulaient pas. Il a fini par sortir en salles grâce à une amie cinéaste, Joyce A. Nashawati, qui en a parlé à son distributeur. Sinon, c’était directement la vidéo. »

Interdiction de tourner

« C’est fou, la peur qui est liée à ce sujet. Certains acteurs ne voulaient pas en entendre parler. Au début des repérages, on allait se renseigner et demander des autorisations en mairie. D’emblée, on nous répondait toujours : « oui, bien sûr », mais dès qu’on leur expliquait qu’il s’agissait d’un film sur le djihad, l’intérêt retombait. Pareil avec la SNCF qui ne voulait à aucun prix voir son sigle associé à ce projet, alors qu’on souhaitait juste tourner dans un entrepôt. Même les particuliers semblaient mal à l’aise. « Je vous assure, madame, on ne reconnaîtra pas votre appartement ! » tentions-nous d’expliquer. Il a donc fallu ruser. En trois jours, j’ai écrit une autre version de mon script sur une bande de jeunes qui font du trafic de fausse monnaie. C’est le même scénario, mais à la place d’armes et d’explosifs, il s’agit d’encre. J’ai tout réécrit en vitesse, ce qui a donné les pires dialogues imaginables. Mais c’était nécessaire pour obtenir les autorisations. Même pendant le tournage, l’équipe était inquiète. »

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A la recherche du spectateur

« Peut-être que ce serait aussi compliqué de tourner un film sur le lobby du tabac. Je sais qu’un film sur Mediator se prépare, mais avec beaucoup de difficultés. En France, il y a un blocage sur les sujets qui fâchent. Peut-être que le public des salles ne s’y intéresse pas assez ; c’est frappant. Je me souviens qu’à 20 ans, j’avais le sentiment que le cinéma français ne me représentait pas. A part Série noire de Corneau (1979), qui témoignait d’une désespérance que je ressentais. C’était punk, on l’était tous un peu. La Haine a dû provoquer le même effet pour les ceux qui l’ont découvert à 20 ans. Je connais des gens pour qui c’est une vraie référence. Je me demande à quel moment le spectateur français d’aujourd’hui se retrouve dans les films qui lui sont proposés. »

Chaos idéologique

« Si la République n’avait pas à ce point failli depuis trente ans à s’occuper des jeunes générations – quelle que soit leur origine – on n’en serait pas là. Les intégristes manipulateurs surfent sur un terrain qui est un no man’s land. Toute une partie de la jeunesse est plongée dans un chaos idéologique où d’un côté on les pousse au « moi je » en leur montrant comment un imbécile de téléréalité devient un héros et fait la une des magazine, et de l’autre, on leur dit : « Tu n’aurais pas d’appartement, tu trouveras un travail très tard, pour un salaire de misère, et la belle voiture que tu vois à la télévision, n’espère pas pouvoir te l’acheter avant tes 30 ans. Sinon tu peux vendre de la cocaïne, mais tu te feras serrer et on te mettra en prison ». Ce paradoxe permanent a de quoi faire péter les plombs. Comment peut-on se dire qu’on va être un loser toute sa vie ? Il y a ceux qui se retrouvent dans un idéal romantique comme l’écologie ou l’altermondialisme. D’autres sont plus violents, plus en colère ou plus psychotiques. Et ils peuvent être sensibles à une idéologie hypertoxique mais orientée, qui leur explique qu’ils peuvent devenir des héros en prenant les armes ».

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Le choix du genre

« Comme pour Le Convoyeur, on s’est dit avec Eric Besnard (le coscénariste) qu’on traitait quelque chose qui ne l’avait jamais été en France. C’est exaltant parce que tu sais que tu n’es pas dans une obligation de renouvellement. Tu dois d’abord créer. Ensuite, ce qui domine ton écriture quand tu travailles sur un thriller, c’est la nécessité d’être toujours en mouvement. Tu ne t’arrêtes pas pour considérer ce que tu es en train de rédiger, ou commenter la situation. Un dialogue n’a de sens que s’il fait avancer l’action. Cela évite la lourdeur et le côté thésard. Le résultat, c’est que le réalisme documentaire va servir ta fiction et inversement ».

Rattrapés par la réalité

« Comme nous avons commencé à écrire début 2013, beaucoup de ce que nous avons découvert est sorti au grand jour entre-temps. Depuis les événements de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher, ce que le film raconte n’est plus vraiment une surprise. Il ressemble plus à un résumé de ce que l’on sait qu’à l’exploration d’un monde inconnu. D’ailleurs, deux éléments montrent que Made in France a été réalisé avant 2015 : les références à Al-Qaïda plutôt qu’à Daesh, et à l’Afghanistan plutôt qu’à la Syrie. Ce qui nous est arrivé est très troublant. Par exemple, à un moment du film, un personnage déclare : « Tu crois que ça les dérange de tuer nos enfants en Palestine ? » et l’autre lui répond : « Mais de quels enfants tu parles ? Tu es Breton ! » C’était de la création pure. Mais depuis, un article du Parisien est paru sur la mort en Syrie d’un djihadiste réputé dangereux qui s’est avéré être Breton. Le réel nous a rattrapés en permanence, alors qu’on a juste fait une bonne synthèse de ce qu’on avait ressenti ».

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En immersion

« Il faut d’abord faire un film dans un genre qui va plaire à ceux à qui il s’adresse. Et le thriller me paraissait idéal. Quand tu abordes un thème précis, complexe, peu connu, le principe de l’immersion te permet de plonger dans l’intimité des personnages. Si tu fais s’affronter les gentils et les méchants, tu vas peut-être mettre le doigt sur quelques détails anecdotiques mais, globalement, tu vas être débordé par la nature du conflit, qui va conditionner tout le film. Alors que l’infiltration t’oblige à envisager des scènes qui sont comme des courants d’air et permettent de découvrir l’univers auquel tu es confronté avec ton personnage principal. Le quotidien devient matière à suspense : il y a toujours le risque d’être démasqué. »

Le thriller comme unique recours

« En France, le cinéma de genre est toujours regardé de haut. Malgré tous mes arguments, Made in France a immédiatement été évincé par toutes les instances publiques de financement. Uniquement parce que c’est un film de genre et qu’il n’est pas de « bon goût ». J’ai donc eu des doutes : était-ce la bonne façon d’en parler ? Est-ce que je n’aurais pas eu plus de chances si j’avais proposé un film plus sociétal, sulpicien ? Personnellement, ma grande référence sur Made in France, c’était Samuel Fuller, qui a tourné uniquement des films courts, tendus, toujours passionnants même aujourd’hui, en s’appuyant systématiquement sur les failles de la société américaine. Oui, White Dog est un des meilleurs films jamais réalisés sur le racisme. Oui, Shock Corridor est un des meilleurs films sur la maltraitance en hôpital psychiatrique. C’est bel et bien sous l’angle du thriller qu’il faut parler du djihadisme si tu veux conserver l’essence de ton sujet. Je me suis dit : « Ce n’est pas moi qui me trompe, ce sont eux qui ont tort ». Tort de ne favoriser qu’un certain type de cinéma, qui peut par ailleurs donner de très beaux films. Mais demain, si quelqu’un veut raconter un drame français sous l’angle de l’horreur, tu peux être certain qu’il a très peu de chance de gagner la considération de ces organismes de financement ou encore d’une certaine presse. »

Bon goût contre plaisir

« Assumer le genre, c’est ne pas s’en excuser, ou ne pas essayer de le prendre de haut. Cela implique d’accepter la caractérisation à outrance, avec des personnages écrits, puissants, qui interagissent et qui s’entrechoquent de façon violente sans essayer d’être trop poli. Les Français ont tendance à vouloir montrer qu’ils sont plus intelligents que le genre dans lequel ils travaillent. Comme certains acteurs qui essayent de prouver qu’ils sont plus subtils que le personnage rustre qu’ils sont en train de jouer… Ce goût des lettres françaises, du bon goût et de l’intelligence a parfois tendance à parasiter le plaisir qu’il y a à regarder une comédie, un thriller ou un polar tendu ». 

Made in France de Nicolas Boukhrief avec Malick Zidi, Dimitri Storoge, François Civil est disponible en e-Cinéma sur toutes les plateformes de VOD.