Le siège de Marioupol raconté de l’intérieur par un photo-reporter qui se cramponne à la vérité et finira par découvrir qu’elle n’a désormais plus aucun sens. Un docu inoubliable diffusé ce soir sur France 5.
Récompensé aux BAFTAS, 20 jours à Marioupol est également en lice pour l'Oscar du meilleur documentaire. Ce film essentiel est déjà disponible en streaming sur le site de France Télévisions, avant sa diffusion ce dimanche à 22h18 sur France 5.
Journaliste de guerre chevronné, parti photographié la bataille de Mosoul comme la guerre civile en Syrie, l’ukrainien Mtyslav Tchernov avait vu la tragédie venir. Lorsque la Fédération de Russie allait vouloir dévorer son pays, elle se jetterait en premier lieu sur Marioupol, cité portuaire d’environ 500 000 habitants, lieu hautement stratégique situé en bordure de la mer d’Azov. Pour lui ça relevait de l’évidence. Le 24 février 2022 lorsque l’invasion fut lancée, il était donc là-bas, loin de sa femme et de ses filles, armé d’une seule conviction : « Enregistrer, archiver, pour qu’il en reste une trace ».
Durant 20 jours et jusqu’à ce que les chars russes entrent dans la ville, il s’est donc employé à ramener des images de la ville assiégée. Il vient de recevoir un prix Pulitzer pour cela et vous connaissez déjà probablement certains de ces clichés, comme celui de cette jeune femme enceinte, dans le froid, emmitouflée dans une couverture, le regard très clair, le visage en sang, une maternité bombardée derrière elle.
Mais Tchernov ne s’est pas contenté de capturer des instantanées pour alimenter la presse papier internationale, il a aussi filmé la prise de Marioupol, engagé la conversation avec ses habitants, et enregistré méthodiquement presque heure par heure la mise à sac et la destruction de ce lieu chargé d’histoire, désormais enfoui sous les gravats. Ces images-là, trop volumineuses pour être envoyés par une maigre liaison satellite, il a dû les conserver précieusement sur lui au milieu de cette zone de guerre. Et lorsqu’il a pu s’en échapper il a confectionné cet objet inouï, 20 jours à Marioupol, à la frontière du téléreportage « embedded » et du geste artistique dans ce qu’il a de plus viscéral, réparateur et submergeant.
Il filme donc « pour archiver, pour qu’il en reste une trace », c’est ce qui le fait tenir, c’est ce qu’il explique à tous les quidams qu’il croise et qui lui demandent d’arrêter de les filmer. Et puis très vite il découvre que le gouvernement russe et les réseaux sociaux ont fait basculer cette invasion dans le champ de la post-vérité. Sa photo de la maternité, avec la fille au regard très clair a fait le tour du monde : on l’accuse de l’avoir complètement mise en scène. Il file vers l’hôpital pour retrouver la future maman, prouver que ce n’est pas du chiqué, si tant est que ça puisse prouver quoique que ce soit.
Il ne la retrouvera jamais, morte avec son bébé quelques jours plus tôt, son cadavre repose dans un charnier au milieu de centaines d’autre. Et maintenant que reste-t-il à archiver alors ? La grandeur de ce film, en tout point traumatisant, réside probablement là-dedans : dans la rencontre avec cet homme qui s’agite et s’accroche désespérément à la vérité. Il finira par découvrir au milieu de son périple qu’elle n’a plus aucune valeur. Il n’aura pas d’autre choix pourtant que de se cramponner à elle.
Complètement coupée du reste du monde (pas d’électricité, pas d’internet, pas de téléphone, rien), Marioupol, assiégée et pilonnée, agonise de son côté dans une absence totale d’information, rien ne filtre, les missiles pleuvent. « Mais qui nous bombarde encore cette fois ? Le gouvernement ukrainien ? », demande les résidents hagards d’un immeuble éventré à Tchernov. « Pourquoi les pompiers ne sont-ils pas là pour éteindre le feu ? », s’étonne d’autres passants qui ne savent pour la caserne en ruines. Si on n’avait pas vu ces moments-là de nos propres yeux, on aurait eu du mal à y croire. Les voilà enregistrés, archivés. La trace restera durable.
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