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Habitué des seconds rôles, il signe, avec Ibrahim, son premier long métrage comme réalisateur, récompensé par quatre prix au dernier festival d’Angoulême. Portrait.

C’est un de ces visages qui fait mentir l’idée bien trop répandue que le temps des grands seconds rôles est révolu dans le cinéma français. Non, tout n’était pas mieux avant ! Depuis 1987 et son apparition dans Jaune revolver aux côtés de Sandrine Bonnaire, Samir Guesmi est bien plus qu’un digne héritier de ses glorieux aînés. Thriller, comédie, drame, fantastique, d’Alain Chabat à Arnaud Desplechin en passant par Bruno Podalydès, Agnès Jaoui, Nicole Garcia ou Noémie Lvovsky, il évolue avec maestria dans tous les registres. Avec cet art de disparaître derrière ses personnages au lieu de chercher à exister à tout prix. Une discrétion majestueuse qui se déploie évidemment aussi dans ses (trop) rares premiers rôles : Andalucia d’Alain Gomis, L’Effet aquatique de Sólveig Anspach et... Ibrahim, réalisé par ses soins. Un rôle quasiment muet pour son premier long : celui d’Ahmed, écailler dans une brasserie, incapable de communiquer avec son fils adolescent qui commence à faire les quatre cents coups, histoire de provoquer un échange. 

Cette histoire de relation père-fils, Samir Guesmi l’a en tête depuis longtemps. Au moins depuis 2008, date de son premier court métrage, C’est dimanche, où un gamin renvoyé de l’école faisait croire à son paternel qu’il avait décroché un diplôme. "J’ai été mordu comme jamais. J’ai compris que réaliser, pour moi, était un accomplissement. J’ai eu envie de réitérer l’expérience." On s’étonne qu’il ait mis douze ans à s’y remettre. "J’ai pris le temps de savoir ce que j’avais envie d’écrire. Je pensais en avoir fini avec le thème de la relation père-fils et de l’incommunicabilité. Mais le sujet a continué à me hanter." Ce travail de longue haleine, il l’effectue longtemps seul, le temps d’arriver à cerner précisément son histoire. "Dès le départ, j’avais en tête l’acmé du film : la caresse du père sur la joue de son fils. Mais forcément, tu te demandes si ça peut tenir. Comment raconter un quotidien qui se répète ? Comment filmer l’ennui sans s’ennuyer ?"

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Le temps de l’innocence

On imagine facilement qu’il connaît par cœur le personnage d’Ahmed. Il corrige : "Je connais bien plus le gamin que le père. Ou plus précisément, je ne connais ce père que du point de vue du gamin." D’ailleurs, jouer Ahmed, il n’en avait pas le désir, "mais l’envie de mon producteur et des choses plus intimes m’y ont conduit". Comme pour prolonger une histoire ancrée dans la réalité "mais emmenée ailleurs par mes rêves sur mes personnages". Pour incarner le fils d’Ahmed, il a longtemps cherché, ne dénichant la perle rare que deux mois avant le premier clap. "Je souhaitais trouver un gamin vierge de toute expérience." Il le rencontrera en allant traîner un dimanche sur un terrain de foot, comme on reconnaîtrait un membre de sa famille. "Ce qui m’a tout de suite emballé chez Abdelrani Bendaher, c’est sa faculté d’écoute. Or écouter l’autre, c’est trois quarts du boulot de l’acteur." Cette philosophie, il va lui transmettre, comme un père à son fils, se revoyant débutant à son âge. "J’aurais aimé avoir sa prestance et qu’on me remarque dans la rue." 

Pourtant, c’est aussi en flânant dans Paris qu’il a contracté le virus du jeu. "Un soir, je suis tombé sur une bande de comédiens sympas qui discutaient sur le trottoir. Ils m’ont invité à leur cours de comédie. Ça pleurait, ça riait, ça jouait avec une intensité de fou. J’y suis retourné une fois, deux fois, trois fois. Puis je me suis inscrit." En observant son jeune partenaire, il s’est remémoré avec émotion ce temps de l’innocence. "Je me suis rendu compte que mon expérience m’avait éloigné de la spontanéité. Or, c’est ça le but de l’acteur : parvenir à dire des mots comme la première fois, à chaque nouveau rôle. Ne pas s’embourgeoiser." Ce face-à-face a été comme un reset qui lui a fait savourer son retour de "simple" acteur sur ses plateaux suivants, comme Parents d’élèves. Mais il a aussi encore renforcé son envie de réaliser. "J’ai des idées en tête que je vais devoir aller provoquer un peu. Je ne veux pas attendre dix ans cette fois-ci." Nous non plus !


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