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Rencontrés à Cannes (bien avant l'échec au box office US), la productrice Denise Ream et le réalisateur Peter Sohn reviennent ici sur cette love story contrariée et inédite entre un jeune homme aquatique et une femme du feu. Les origines du projet, les éléments personnels, les références (classiques)… ils détaillent pour Premiere les ingrédients utilisés pour faire le portrait d’une jeune fille de feu.

Peter, j’ai l’impression qu’Elémentaire – qui porte bien son titre - revient à une grande idée pixarienne : la "simplexité".

Peter Sohn : Ca me plait ça. Je comprends le concept, même si nous, sur le tournage, nous disions qu’Elémentaire devait être simple et riche à la fois. Par exemple on voulait une 3D complexe, avec beaucoup de matières et de texture, mais qui soit également très stylisée. Il fallait que ce soit crédible, donc simple, et qu’on perçoive tous les détails.

Quel fut le point de départ du film ?

PS : Le feu et l’eau. C’est vraiment l’idée de base. Est-ce qu’ils peuvent connecter, s’assembler ? Voire fusionner ? Et à partir du moment où cette question était posée, c’était parti. L’idée de ce petit miracle nous a permis de dérouler le film. J’ai fait quelques dessins d’un personnage de feu et d’un personnage aquatique et je sentais physiquement la tension entre les deux. En tous les cas, c’est ça, cette tension, que je voulais transcrire. Est-ce que le contact les tuerait ? Et sinon que se passerait-il physiquement ? Le premier dessin que j’ai gribouillé pour pitcher le film montrait précisément le moment où les mains de ces deux personnages se joignaient.

Denise Ream : Avec des visuels de bâtiments des quatre éléments aussi.

PS : Oui. C’est l’autre image qui m’est tout de suite apparue : le tableau périodique des éléments. Enfant j’étais fasciné par ce tableau. Je l’imaginais comme un gigantesque immeuble divisé en appartements. Chaque élément vivait dans sa propre pièce à côté des autres. Ca me rappelait les villes où j’avais grandi. Ce souvenir m’a conduit à introduire le thème de la diversité dans Elémentaire. Je voulais développer l’idée que certaines communautés se mélangent bien et d’autres beaucoup moins… Il y avait aussi une déclaration d’amour à mes parents. Il y a quelques temps, j’avais été invité à une fête dans le Bronx et lors de cette soirée, j’ai fait un discours devant plein de gens… Je devais à la base parler de mon travail, mais quand j’ai vu mes parents dans le public j’ai été submergé d’émotion. Je les ai remercié des sacrifices qu’ils avaient fait pour moi et mon plus jeune frère. Et je me suis mis à pleurer. C’est devenu une scène du film – mieux : un des thèmes d’Elémentaire. Mais tout a commencé avec le feu et l’eau…

Avec Elémentaire Pixar pète à nouveau le feu [critique]

Ce qui impressionne dans le film c’est que chaque éléments incarne une émotion, une sensation. Elémentaire, c’est la "physicalité des sentiments" ; la chimie des sens. 

PS : Exactement ! Il fallait que les éléments réussissent à communiquer des émotions particulières. On a beaucoup cherché le design en tentant d’incarner ces sentiments. J’avais conçu le feu comme un super-héros, on devait sentir l’ébullition, la puissance, la force, la violence.

DR : Mais ces émotions devaient toujours ressembler à… du feu (rires). C’était un équilibre très difficile à trouver. Il fallait que les personnages représentent graphiquement certaines sensations mais qu’ils ressemblent constamment à l’élément qui les définissait. Pete avait très peur qu’on ne trouve pas ce point d’équilibre.

PS : ce qui nous a aidé dans le character design c’est d’imaginer des personnages vulnérables. Flam par exemple a l’apparence d’un feu de camp, mais parfois elle ressemble à une bougie agitée par le vent. Dans ces moments-là, si on soufflait sur elle, elle disparaîtrait. Cette idée graphique (de la rendre plus petite, plus frêle) ressemble à la sensation d’être nu face à quelqu’un à qui l’on tient. C’est ce genre de subtilités qu’on essayait de transcrire par nos dessins.

DR : Il fallait surtout que ça ne ressemble pas à un humain avec un costume de feu ou un homme-torche. On devait garder le côté gazeux. Durant les premiers tests, le feu était très réaliste, trop, et quand on a rajouté des yeux, un nez et une bouche c’était…

PS : Effrayant. On a cherché à rapprocher le nez des yeux et tout à coup, on a réussi à créer une ligne qui donnait un look plus « créature » à Flam. Le feu devenait plus graphique. Une fois trouvée une cohérence graphique, on l’a appliqué aux autres éléments. Tout en cherchant à distinguer les traits spécifiques de chacun. « L’eau pourrait avoir ceci, le feu pourrait avoir cela »…  

C’est donc de Flam que tout est parti ?

PS : Oui ! Ce fut la clé. Une fois qu’on avait Flam on a designé l’univers. Parce qu’on savait début qu’elle serait le personnage le plus complexe à dessiner. Mais Flak aussi fut compliqué. Pour une autre raison : il changeait constamment d’apparences en fonction des différentes luminosités et des différents blackgrounds. Au coucher du soleil il explosait de couleurs orangées, dans la cave, il devenait noir ou invisible…

Ca paraît quasiment impossible à dessiner

PS : L’ordinateur peut créer de l’eau de manière très réaliste. C’est facile aujourd’hui. Mais ce n’est pas ce qu’on recherchait. Flak, on peut voir derrière lui, à travers lui… C’est également un personnage métaphoriquement essentiel : Flam se voit à travers lui et se découvre dans sa réflexion. Ca aussi il fallait en donner un aperçu visuel… Mais bon, c'est Flam qui fut le point de départ.

Elémentaire à Cannes 2023
John Phillips/Getty Images for Disney

Pete Docter, Vincent Lacoste, Adèle Exarchopoulos, Denise Ream et Peter Sohn au photocall d'Elémentaire au Festival de Cannes

 

Elémentaire c'est beaucoup de première fois pour Pixar. C’est la premiere véritable histoire d’amour du studio, et c’est aussi la première fois qu’un commentaire social innerve un film. Il y a un discours sur les riches et les pauvres, un contexte social, habituellement absents des films d’animation…

PS : C’est mon histoire personnelle. Je viens d’un milieu pauvre et j’ai très vite eu conscience du système de classes et de la xénophobie. Je voulais en parler, l’intégrer dans le film sans pour autant délivrer un message. Je m’en suis servi pour donner un background à cette histoire d’amour. D’où vient Flam ? D’où vient Flak ? Qu’est-ce qu’elle a de différent ? Qu’est-ce que la société lui permet d’embrasser ou lui interdit de faire ? Dès le début je savais que Flam ne pouvait pas avoir de rêves parce qu’elle doit s’occuper de sa famille. Et ça Flak ne peut pas le comprendre parce qu’il vient d’un milieu aisé où l’on peut avoir tous les rêves que l’on veut. Pour Flam rêver est un luxe. Et cette compréhension de la différence ouvre la porte sur la xénophobie, les classes. Comprendre qu’il y a un monde avec des règles dont elle ne peut pas s’affranchir va perturber sa vie. Encore une fois, l’idée n’était pas de faire la leçon, mais de nourrir le personnage.

On retrouve là certains traits propres à la comédie screwball des années 30.

PS : C’était effectivement nos références. On a beaucoup pensé à Ninotchka. Il y avait aussi Capra (New-York Miami) pour son mélange de discours social et de pure comédie. Et Indiscrétions ou L’impossible monsieur bébé pour le rythme.

DR : On a aussi revu Eclair de lune. Et, bon, dans un autre genre, je suis fan de Mariage à la grecque… ne le répétez pas trop fort (rires)

On parle de comédie mais il y a un soupçon de mélancolie dans le film…

PS : Si je dois être honnête, je dois avouer que ça n’était pas conscient. Et surtout pas au début. Mais le film a connu un développement très long et j’ai traversé des événements douloureux pendant le making of. J’ai perdu mes deux parents et tout cela a forcément infusé Elémentaire. Le film s’assombrissait par moments – il y a eu des versions beaucoup plus dark, notamment pendant la pandémie. La marche du monde a aussi influencé le ton du film. Toutes les protestations, la violence des actualités ont teinté Elémentaire… On travaillait de manière très isolée à cause du confinement… Ce n’était pas intentionnel, mais il fallu que je comprenne ce qu’il se passait et qu’on en discute avec le groupe. C’est sans doute de là que viennent ces vibrations, cette mélancolie ou cette noirceur.

DR : Peter a raison de souligner qu’il y a eu des versions beaucoup plus dark…

PS : A un moment donné, le père et sa fille se livraient une vraie guerre.

Mais finalement c’est très apaisé : j’aime la scène où le père s’incline sur le sol face à Flam. Parce qu’au fond, c’est aussi une histoire d’immigration.

PS : Oui et c’est clair dès la première séquence. Là encore c’est très personnel. Parmi les dernières discussions que j’ai eues avec mes parents, il était beaucoup question de leur arrivée aux Etats-Unis. Pourquoi est-ce qu’ils ont choisi de venir ici ? Je ne leur en avais jamais parlé. Ils m’ont bien raconté des histoires quand j’étais enfant, mais je n’écoutais pas. Et au cœur de leur récit, il y avait l’idée de nous offrir un meilleur avenir. C’est un cliché, mais c’est très réel pour beaucoup de gens. Avoir mieux pour leurs enfants, laisser de l’espoir, un capital… Ca parle à beaucoup de gens.

DR : Et à beaucoup de gens chez Pixar ;

PS : C’est fou. Sur les gens qui ont travaillé dans le film, plus de 300 personnes sont de la première ou de la deuxième génération. C’est énorme ! Et chacun avait une histoire à raconter. Des histories drôles, tristes, émouvantes, des histoires de violence culturelle… on a essayé de mettre toutes cela dans le film.  

DR : Mais sans jamais ni alourdir ni sombrer dans la prêche ou la revendication

PS : Parce que dans les 4 éléments, il y a le feu, la terre. Mais il y a aussi l’air et l’eau. On a le droit de dire des choses graves en restant léger.