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Réunissant à l’écran Marina Foïs et Laurent Lafitte, en 2015, la comédie Papa ou maman dessine son identité grâce à des intentions fortes affirmées dès l’écriture. Entre désir de manier des références plus américaines qu’hexagonales et volonté de s’emparer de manière irrévérencieuse d’un sujet de société fédérateur, le premier film de Martin Bourboulon doit avant tout son originalité à une addition d’idées ambitieuses et iconoclastes. Décryptage de la recette concoctée par le producteur Dimitri Rassam et son duo de scénaristes Alexandre de la Patellière/Matthieu Delaporte.
Par Damien Leblanc
Un pitch inversé
"Ils divorcent. Ils vont tout faire pour ne pas avoir la garde des enfants", scande l'affiche de Papa ou Maman. S'inspirant d'une idée originale de Guillaume Clicquot de Mentque, le projet repose sur un pitch accrocheur et irrévérencieux. Le film raconte en effet comment un divorce qui s'annonçait au départ apaisé s'envenime au point de se transformer en une guerre totale au coeur de laquelle Florence et Vincent Leroy (Marina Foïs et Laurent Lafitte) tentent chacun de perdre la garde de leurs trois enfants. Les époux vont donc imaginer les pires stratagèmes pour se faire détester de leur progéniture et profiter ainsi d'une promotion à l'étranger qui laissera l'autre parent se dépatouiller en France avec l'éducation des gosses. Jouant sur le phénomène de société que constitue l'explosion des divorces, le scénario trouve un angle fédérateur en plaçant la relation parents-enfants au centre de l'équation. A une époque où l'éducation familiale constitue le sujet de nombreux livres ou émissions télé, Papa ou maman prend le contre-pied de ce marketing éducatif en montrant des parents irresponsables qui en viennent à humilier volontairement leurs enfants et à leur faire subir les pires tortures pour des raisons parfaitement égocentriques. "Le scénario transgressif m'a plu. On a tous été confronté à un moment ou à un autre au burnout familial. L'urgence d'aller remplir le frigo, il n'y a rien de moins sexy", déclarait ainsi Marina Foïs dans Première en février 2015.
Un heureux mélange des genres
Pris en main par le duo Alexandre de la Patellière/Matthieu Delaporte (auteurs du carton Le Prénom), le scénario de Papa ou maman soigne chaque détail et fait cohabiter différents registres d'émotion. La volonté qu'a d'abord le couple de ne pas traumatiser ses enfants donne ainsi lieu à des séquences comiques durant lesquelles les parents n'osent pas annoncer la nouvelle à leurs mouflets ; mais l'amusant running gag dissimule surtout la crainte que ressentent les époux Leroy à l'idée de perturber l'équilibre familial et met en valeur la tragédie intime vécue par les personnages. Entre vannes vachardes, courses-poursuites endiablées, explications franches et tendresse cachée, Papa ou maman passe par différentes humeurs, ce qui n'est guère étonnant quand on sait que le duo la Patellière/Delaporte a écrit tous types de films (la SF animée avec Renaissance et The Prodigies, la comédie policière avec Les Parrains, le polar pur et dur avec L'Immortel ou le drame avec Un illustre inconnu) et maîtrise parfaitement les changements de registre. Ce numéro d'équilibriste est résumé dans une des premières séquences du film où le couple Leroy annonce tout sourire son futur divorce à un couple d'amis comme s'ils parlaient de l'organisation d'un week-end. Bien décidés à réussir leur divorce comme on réussirait un plat cuisiné, les Leroy affichent une harmonie surjouée et une assurance forcenée qui devient aussi drôle qu'inquiétante. Affirmant qu'ils ne veulent pas « faire la tournée de trop », le couple se compare à un groupe de papy rockers du type Rolling Stones, façon comique de souligner la part d'épuisement contenue dans le spectacle de la famille et de préparer déjà, sous la comédie effrénée, la part d'ombre des personnages.
Des influences américaines
Si Papa ou maman sort si ouvertement des sentiers battus de la comédie française, c'est aussi que ses inspirations regardent ouvertement du côté des Etats-Unis. L'affrontement brutal entre époux évoque bien entendu La Guerre des Rose, comédie de Danny DeVito dans laquelle le couple Michael Douglas/Kathleen Turner se déchirait avec fracas. Mais le réalisateur Martin Bourboulon cite aussi l'influence plus ancienne de La Dame du vendredi d'Howard Hawks, film emblématique de la « comédie du remariage » des années 1940, noble sous-genre hollywoodien qui offre toujours une réflexion enlevée sur la mort (et la renaissance) d'un couple. S'inspirant de la vivacité rythmique et verbale de ces comédies classiques, Papa ou Maman empiète également sur le territoire plus récent de Judd Apatow : la crise vécue par des parents pris entre désirs individuels et sacrifice familial évoque par exemple 40 ans, mode d'emploi où les doutes existentiels du cinéaste américain s'exprimaient de manière aussi hilarante que solennelle. Mais les influences du film ne se limitent pas au genre comique. Le plan d'ouverture, situé le soir du passage à l'an 2000, dévoile ainsi une affiche de Fight Club, oeuvre sortie en France en novembre 1999 dont la narration et le montage ont influencé toute une génération de cinéastes. Le film de David Fincher, qui dépeint une grave crise d'identité, reçoit ici un hommage qui montre une certaine exigence de la mise en scène de Martin Bourboulon (cinéaste lui aussi venu de la publicité) : la séquence inaugurale, qui se déroule en temps réel, est à ce titre un pur morceau de bravoure. La bande originale participe de ce dynamisme général en utilisant par exemple le Modern Love de David Bowie, déjà utilisée en 1986 par Leos Carax dans une séquence endiablée de Mauvais sang, autre film français sous haute influence du cinéma américain.
Un décentrement géographique
Autre parti pris qui offre du caractère à Papa ou maman : la position géographique de l'intrigue. Refusant de s'ancrer dans les beaux quartiers parisiens pour leur préférer une Seine-Maritime moderne où les personnages principaux ont des emplois de cadre (le personnage de Marina Foïs est chef de chantier tandis que celui de Laurent Lafitte est obstétricien), Papa ou maman offre davantage de relief aux névroses de protagonistes qui peuvent exister en tant que tels et non pas comme de simples produits d'un cadre géographique caricatural et surplombant. Trajets en voitures, parties endiablées de paintball et autres anniversaires d'ados gagnent ainsi étrangement en vraisemblance grâce à la présence de ce territoire encore vierge d'un point de vue cinématographique, que la réalisation s'amuse à conquérir et à explorer.
Un casting déluré
Si Gilles Lellouche était au départ pressenti aux côtés de Marina Foïs, Laurent Lafitte a finalement décroché le rôle du mari. Une riche idée puisque le pensionnaire de la Comédie-Française connaît l'actrice Mais qui a tué Pamela Rose ?). "Ce que j'adore chez lui c'est que, comme Valérie Lemercier ou Chantal Lauby, il a une élégance qui lui permet de faire les pires vannes sans que ça tombe jamais dans le caniveau, contrairement à moi", déclare ainsi Marina Foïs dans Première. L'alchimie entre les deux comédiens s'avère de fait assez exemplaire car chacun apporte son style comique personnel pour jouer l'immaturité avec délectation, tout en maniant par moments la gravité nécessaire. L'investissement total du duo empêche ainsi le film, plus poussif et répétitif dans sa deuxième partie, de sombrer dans l'ennui. Dans le rôle de l'infirmière sexy qui séduit le personnage de Laurent Lafitte, Vanessa Guide (vue dans le court-métrage La Bifle et dans le JT de l'invité du Grand Journal) vient apporter une caution Canal +, tandis que l'habit plus ténébreux du juge des divorces est porté avec autorité par la lunaire Anne Le Ny (vue dans La Guerre est déclarée et Intouchables). Lui aussi pensionnaire de la Comédie-Française, Michel Vuillermoz (acteur habitué d'Alain Resnais et de Bruno Podalydès) confère quant à lui une forme de perversité bizarre à son rôle d'odieux superviseur de chantier qui va cependant succomber aux charmes de Marina Foïs. Enfin, dans le rôle du plus jeune des enfants Leroy, Achille Potier excelle avec ses air ahuris et blasés, notamment lorsqu'il prononce du haut de ses 9 ans cette réplique pleine de mélancolie : "J'ai déjà pas mal de choses à oublier".
La bande-annonce de Papa ou maman :
Jonathan Cohen : l’interview parfaite
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