Avec How to Save a Dead Friend, Marusya Syroechkovskaya retrace deux décennies d'histoire sous la Russie de Poutine à travers le portrait de Kimi, son ex-mari décédé en 2016. Rencontre.
Pouvez-vous nous expliquer le titre de votre film, How to Save a Dead Friend ?
J’aime beaucoup l’oxymore du titre. Il y a une véritable contradiction, comment peut-on sauver quelqu’un qui est mort ? Le film raconte un peu mon histoire, au cours de laquelle j’essaye de sauver le souvenir d’une personne que j’ai aimé et qui est décédée.
Qu’est ce que vous souhaitiez montrer au spectateur avec ce portrait de Kimi, figure principale du film et accessoirement votre ex-mari, décédé aujourd’hui ?
Ce n’est pas seulement son portrait, c’est aussi un peu le mien. C’est aussi l’histoire de toute une génération ayant grandi dans la Russie des années 2000 et 2010. Je voulais montrer ce que ça faisait d’être jeune dans un pays comme celui-ci. Au départ, je voulais seulement filmer Kimi, puis j’ai réalisé que j’avais besoin d’être présente. C’était une décision assez difficile, parce que je suis habituellement derrière la caméra. Je ne me pensais pas en tant que personnage, mais cela m’a permis de créer de la distance, et de pouvoir faire mon deuil d’une certaine manière. Avec ce film, je voulais montrer que l’amour est bien plus fort que la mort.
How to Save a Dead Friend a été montré pour la première fois à l’ACID Cannes l'année dernière . Est-ce que l’invasion russe en Ukraine a changé le regard que l’on pose sur votre film, bien que le sujet soit complètement différent ?
Oui, complètement. Cela a changé énormément de choses pour moi personnellement, mais aussi pour beaucoup de mes amis. Il faut savoir que certains festivals n’ont pas souhaité sélectionner mon film parce que je suis tout simplement russe, sans chercher à savoir quel était le sujet.
Le film montre des moments très intimes de votre vie avec Kimi. Est-ce que vous avez réfléchi à deux fois avant de montrer des éléments aussi personnels de votre vie ?
Qu’est-ce qui pourrait se passer ? *rires* J’aime beaucoup les questionnements personnels dans le domaine de l’art, de manière très générale. C’était important pour moi de parler de choses que j’ai réellement vécues. Grâce à l’art cinématographique, j’ai pu parler de mon ressenti personnel. Évoquer cette histoire m’a permis d’aller de l’avant, et de ne pas la revivre dans mon esprit tous les jours de ma vie.
En commençant à tourner ces images d’archives qui jalonnent le film, est-ce que vous imaginiez pouvoir un jour réaliser un long-métrage ?
Je ne savais pas que je réaliserais ce film un jour, c'est certain. Kimi et moi-même tournions quelque chose sur notre vie et sur nos amis de manière régulière, mais sans idée particulière derrière la tête.
Votre idée n’était pas aussi de montrer l’histoire de la Russie au cours de ces années ?
Je voulais forcément apporter un contexte historique. Il y a tant de choses qui nous ont affectées directement et indirectement. Je voulais retranscrire à l’écran ce sentiment, montrer ce que ça fait d’être dans nos bottes.
Comment s’est déroulée la phase de montage ?
Je voulais vraiment travailler avec ce monteur, Qutaiba Barhamji, qui avait déjà travaillé sur de nombreux documentaires, dont Little Palestine, Journal d’un siège en 2021. C’est l’une des premières personnes que j’ai sollicitée quand j’ai décidé de réaliser How to Save a Dead Friend. Il a très vite accepté de travailler avec moi. Il vit à Paris, je suis donc venu sur place pour monter le film. On était alors à la première semaine de la pandémie de Covid-19. Je suis donc retourné chez moi en Russie. Nous avons montés le film à distance l'un de l'autre. C’était génial de bosser avec lui, nous avons beaucoup expérimenté. C’était parfois compliqué, parce que mes images n’étaient pas forcément destinées à apparaître dans un long-métrage. J’ai filmé avec différentes caméras, dans des lieux très différents. J’ai dû inventer tout un langage. Lorsque nous montions, il fallait toujours savoir dans quelle timeline nous étions, mais il fallait aussi réfléchir à la place de la musique…. C’était une expérience fascinante.
Cela ne devait pas être facile de revoir ces images…
Au départ, c’était très émouvant. Mais plus je travaillais sur le film, plus je créais une distance avec ce que je voyais à l’écran. J’ai fini par avoir une nouvelle perspective sur les évènements.
Avez-vous toujours pensé à inclure une voix-off sur le film ?
Cela est devenu nécessaire durant la phase de montage. Les images que j’ai filmé sont tellement variées que j’avais besoin de raconter une histoire. J’avais donc besoin de mon personnage à l’écran, mais aussi de ma voix. Ce n’était pas une décision facile pour moi au départ, mais je pense avoir fait le bon choix. C’était parfois difficile de trouver le bon ton, étant donné que le film parle de la mort et de la dépression. Je voulais donc contrebalancer l’ensemble avec une voix-off, comme si je faisais un spectacle de stand-up, même si je ne fais pas beaucoup de blagues ! *rires*
La musique tient également une place très importante, avec la présence de ces morceaux de rock sortant tout droit des années 1970…
J’ai choisi toutes les chansons qui apparaissent dans le film ! À mesure que l'on nous voyait grandir, mon souhait était d’inclure des morceaux qui nous représentaient, et surtout qui nous ressemblaient.
How to Save a Dead Friend rappelle Leto, le film de Kirill Serebrennikov sur la jeunesse russe des années 1980, échappant à la réalité grâce au pouvoir de la musique…
Vous n’êtes pas la première personne à me dire ça, c’est un véritable honneur d’être comparé à Kirill Serebrennikov ! Son film est super, et si c’est le cas, c’est involontaire ! *rires*
How to Save a Dead Friend est votre premier film. Est-ce que vous prévoyez déjà un second long-métrage, peut-être une fiction cette fois-ci ?
Je voudrais essayer de réaliser un film hybride, quelque part entre la fiction et le documentaire. Je veux continuer à parler de la Russie, étant donné que j’ai passé la plus grande partie de ma vie là-bas. Je travaille actuellement sur un nouveau projet, mais il n’est pas encore définitif. J’aimerais raconter l’histoire du frère de Kimi, que j’ai filmé durant de nombreuses années. Il a recommencé sa vie à 40 ans après avoir connu de nombreux problèmes de drogue. J’ai envie de faire ce film sous la forme d’une comédie noire, cela correspondrait bien au personnage !
Est-ce que des spectateurs de nationalité russe ont vu votre film ?
Oui, dans les festivals principalement. Le film n’est toutefois pas sorti en Russie, mais j’aimerais beaucoup le montrer aux russes. Je ne sais pas trop comment je pourrais faire ça. Mais c’est quelque chose de très important pour moi.
How to Save a Dead Friend de Marusya Syroechkovskaya. Sorti ce mercredi 28 juin dans les salles françaises.
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