L'Affaire Nevenka d'Iciar Bollain
Epicentre

Iciar Bollain explique à Première les secrets de fabrication de L’Affaire Nevenka, sa fiction revenant sur le premier cas de Metoo politique en Espagne

Avec votre nouveau long métrage, L’Affaire Nevenka, vous revenez sur le premier cas de Metoo politique en Espagne, le harcèlement vécu au milieu des années 90 par Nevenka Fernandez une jeune conseillère municipale de la part du maire de sa ville. Quand avez- vous commencé à envisager un film sur cette affaire ?

Iciar Bollain : Je dois avouer avoir suivi l’affaire un peu de loin à l’époque. Ce sont les producteurs de mon précédent film, Les Repentis qui, voilà 3 ou 4 ans, m’ont suggéré de m’y intéresser. Je me suis alors plongée dans un livre remarquable qu’avait écrit un journaliste sur l’affaire. Et cette lecture a été un déclic avec moi. J’ai compris à quel point Nevenka était une pionnière. Et je me suis tout de suite dit qu’une fiction allait pouvoir me permettre de compléter le récit, de montrer ce qu’elle a vécu, ce qu’elle avait raconté en détails mais sans être crue de tout le monde, loin de là. Ce qu’un documentaire, de fait, n’aurait pas pu faire puisque ces moments n’ont pas été captés et qu’il s’agissait de sa parole contre celle de son agresseur. Et puis j’aimais aussi l’idée de raconter cette affaire avec 20 ans de recul. Ca permet de voir ce qui a évolué mais aussi ce qui n’a pas fondamentalement changé en dépit de la libération de la parole et de la notion de consentement qui n’est plus perçue de la même manière.

Vous avez rencontré Nevenka Fernandez pour préparer votre film ?

Oui et  ce avant  même de me lancer dans le projet. Je suis allée la voir avec ma co- scénariste Isa Campo en Irlande où elle vit désormais. J’ai eu la chance qu’elle ait vu et aimé un de mes films, Ne dis rien, qui parlait de violences conjugales. Elle m’en a tout de suite parlé. Nevenka et son compagnon ont été particulièrement bien disposés à mon égard. Son compagnon nous a même assuré que si quelqu’un devait raconter cette histoire, c’était moi et personne d’autre. Ca m’a évidemment beaucoup touchée. Nevenka a été incroyablement généreuse avec moi. Elle a pris énormément de temps pour me parler et m’a laissé échanger avec les personnes de son entourage : son psychanalyste, son avocat, ses amis proches... J’ai aussi parlé avec certains de ses anciens collègues de la mairie, des journalistes qui avaient suivi l’affaire pour bien dresser l’arrière- plan de cette histoire. Une région de l’Espagne alors gangrénée corruption car elle recevait des fonds de l’Union Européenne après la fermeture des mines. Et ce maire, Ismael Alvarez, respecté de tous et immensément populaire qu’on a spontanément plus cru qu’elle quand elle a voulu dénoncer ce qu’il lui faisait subir.

Quelles sont les plus grandes précautions à prendre quand on écrit ce scénario ?

Faire bien attention à toujours insuffler de la complexité dans le récit. Ne jamais oublier que les abuseurs ont plusieurs facettes. Et que c’est précisément parce qu’ils savent charmer leur monde qu’ils sont aussi dangereux. C’est pourquoi j’ai tenu à multiplier les scènes où on voit le charisme d’Alvarez et la manière dont il fascinait ceux qui croisaient sa route.

L'AFFAIRE NEVENKA: IMPLACABLE ET GLACANT [CRITIQUE]

 

Vous montrez aussi les scènes d’agression et ne passez donc pas par l’ellipse pour raconter l’enfer physique et psychologique vécu par Nevenka Fernandez. Comment les avez-vous pensées et tournées ?

Je ne voulais absolument rien embellir, ne jamais rendre soutenable l’insoutenable. Je déteste les films qui cherchent à esthétiser ces moments- là. Mais pour créer ces scènes à l’écran, on a évidemment énormément échangé et travaillé de concert avec les deux comédiens Mireia Oriol et Urko Olazabal. Tout a été chorégraphié. Tout a été formulé clairement sur quelles parties des corps seraient visibles à l’écran.

Vous évoquez vos deux comédiens tous deux impressionnants. Quels étaient les plus gros défis qu’ils ont eu à relever selon vous ?

Le rôle de Nevenka Fernandez est incroyablement complexe puisque dans ce qu’elle traverse, il va de la plus grande des forces à la plus grande des fragilités avant de retrouver de la force et du courage. Il fallait aussi qu’on croit à ce qu’elle ne comprenne pas ce qui lui arrive – ce qui serait forcément différent en 2024 -, à ses propres doutes sur ce qu’elle vit puisque personne ou presque ne réagit autour d’elle. Jouer cette confusion est immensément complexe. Et ce que fait Mireia Oriol est fascinant. En face, Urko Olazabal a dû jouer une sorte de chat qui finit toujours par piéger la souris dont il a fait sa proie. Pour cela, il a pu s’appuyer sur le livre que j’évoquais plus tôt où la psychologie de son personnage et son méthode opératoire sont décrites avec soin. Après les avoir vus l’une et l’autre en audition, je ne pouvais imaginer personne d’autre en Nevenka Ferandez et Ismael Alvarez. Et je ne sais pas comment j’aurais fait s’ils avaient décliné ma proposition.

Aviez- vous des références en tête pour créer la mise en scène de ce film ?

J’ai spontanément pensé à Spotlight. Je l’ai revu et cela m’a permis de comprendre qu’il ne fallait pas avoir peur des dialogues, des longs échanges entre les différents personnages, que je ne devais pas me censurer. Mais ma direction principale en termes de mise en scène a été de faire vivre le film dans la peau et la tête de Nevenka, comme une souris prise au piège. De créer de la claustrophobie, de la tension. Sauf qu’une une fois arrivée au bout d’une première version du montage, on s’est aperçu que cette tension n’existait pas réellement. On a donc réécrit le film à cette étape, changé des scènes de place. A commencer par celle qui ouvre le film et où on voit Nevenka en crise de panique. Cette scène donne le la de ce qui va suivre et maintenir la tension dans les moments du récit où tout semble plus calme. Car on sait que vont se produire des choses qui l’ont mise dans cet état- là. La fiction permet cela et cela constituait l’un des défis majeurs que j’avais à relever.

L’Affaire Nevenka. De Iciar Bollain. Avec Mireia Oriol, Urko Olazabal, Ricardo Gomez… Durée : 1h57. Sorti le 6 novembre 2024