Kirk Douglas dans Spartacus
Universal Pictures

Retour sur la carrière d’un géant.

Il avait fêté ses 103 ans il y a quelques semaines, et on avait fini par croire qu’il était immortel. Mais son heure est finalement venue, ce mercredi, comme nous l’a appris son fils Michael dans un communiqué : "C’est avec une profonde tristesse que mes frères et moi annonçons que Kirk Douglas nous a quittés aujourd’hui. Pour le monde, il était une légende, un acteur de l’âge d’or du cinéma… mais pour moi et mes frères Joel et Peter il était tout simplement Papa". 

Une vraie star 

Michael Douglas a raison. Son père était une légende. Une star. Jacques Séguéla avait fait l’erreur de prétendre le contraire face à lui, sur le plateau d’Apostrophes de Bernard Pivot, le classant plutôt dans la catégorie des grands acteurs. Il s’était fait moucher, en français dans le texte : "Mais qui êtes-vous, monsieur, pour dire qui est une star et qui ne l’est pas ?". Car oui, Kirk Douglas maitrisait la langue de Molière, qu’il avait apprise pour une tournage puis pratiqué avec la Belge francophone Anne Buydens, qui était son épouse depuis 1954. 

Kirk Douglas, c’est le rêve américain. Né Issur Danielovitch Demsky, il était un fils d’immigrés juifs d’Europe de l’Est qui avait fuit l’Empire russe en proie à une violente montée de l’antisémitisme. C’est en débarquant à New York pour se lancer dans la comédie qu’il change de nom, d’abord pour la scène, puis pour l’Etat Civil. 

Le roi de l’âge d’or 

Après la Seconde Guerre Mondiale, sa carrière commence à décoller. Il joue avec Robert Mitchum, l’autre fossette légendaire d’Hollywood, dans La Griffe du passé, puis fait la rencontre de Burt Lancaster, avec qui il formera un des duos les plus iconique de l’âge d’or d’Hollywood (notamment dans Règlements de comptes à O.K. Corral, 1957). Mais c’est d’abord avec Le Champion (1949), un Rocky avant l’heure pour lequel il s’entraine comme un fou, que Douglas change de statut. Il décroche grâce à ce rôle de boxeur la première de ses trois nominations aux Oscars. 

Acteur phare des années 1950 et 1960, Kirk Douglas tourne avec les plus grands : Howard Hawks (La Captive aux yeux clairs), Richard Fleischer (Vingt Mille Lieues sous les mers, Les Vikings), Vincente Minnelli (La Vie passionnée de Van Gogh), King Vidor (L’Homme qui n’a pas d’étoile) et bien sûr Stanley Kubrick, qui le dirige deux fois (dans Les Sentiers de la Gloire et Spartacus). Les décennies suivantes seront moins marquantes. Puis, un grave accident d’hélicoptère et un AVC l’obligent à prendre définitivement du recul avec le métier. 

Les meilleurs films de Kirk Douglas, par Kirk Douglas

Le producteur, l’homme, le militant 

Kirk Douglas, c’était aussi une personnalité bien trempée et un homme de convictions. Très tôt, dans les années 1950, il devient producteur et connait aussitôt le succès avec La Rivière de nos amours (1954), dont il tient le premier rôle. Vexé de ne pas avoir été pris pour Ben-Hur, il sera également producteur de Spartacus. Après avoir viré le réalisateur Anthony Mann, il engage Stanley Kubrick à qui il n’hésite pas de dicter ses choix. Il lui impose la fameuse réplique "Je suis Spartacus", et l’histoire lui donnera raison. "Il détestait cette scène, mais j’ai insisté. On s’est beaucoup engueulés", se souvenait Douglas à l’occasion de son centenaire. Toujours malicieux, il le qualifiait encore de "salopard talentueux", 50 ans après l’épisode

Spartacus, toujours, symbolise aussi le militantisme chevronné de Kirk Douglas. En plein maccarthysme (cette période sombre de l’histoire américaine où on chassait les "communistes", y compris à Hollywood), il fait le forcing pour sortir le scénariste Dalton Trumbo de la liste noire et fait apparaitre son nom au générique du film. Démocrate convaincu, il le restera jusqu’au bout. En 2016, avant l’élection de Donald Trump, il se fendait d’une lettre virulente où il expliquait que les discours du candidat lui rappelaient la montée du nazisme dans les années 1930. 

Lettre puissante de Kirk Douglas contre Donald Trump

Bien qu’affaibli physiquement, et malgré une diction compliquée depuis son AVC, Kirk Douglas restait étonnement vif d’esprit pour son grand âge. "Je n'aurais jamais, jamais pensé vivre 100 ans. Ça m'a choqué, vraiment. Et c'est triste, aussi", expliquait-il lors d’une de ses dernières interviews. "Burt Lancaster me manque – nous nous disputions beaucoup et il me manque beaucoup. John Wayne aussi, même s'il était républicain et moi démocrate". 

Tel père, tel fils

En 2018, il avait même assisté à l’inauguration de l’étoile de son Michael Douglas sur Hollywood Boulevard. "Je suis tellement fier d’être ton fils !", avait déclaré ce dernier. Et c’était réciproque. "Je suis si fier de Michael car il n'a jamais suivi mes conseils. Je voulais qu'il soit médecin ou avocat et la première fois que je l'ai vu jouer dans une pièce je lui ai dit qu'il était terriblement mauvais", se souvenait le père en 2017.

Finalement, Kirk Douglas avait soutenu son fils dans son choix de carrière. Il lui offrit même les droits de l’adaptation de Vol au-dessus d’un nid de coucou. Pour le remercier, Michael refusa de lui donner le premier rôle : "Quand je lui ai demandé qui allait jouer mon rôle et qu'il a répondu Jack Nicholson, j'ai répliqué que je n'avais jamais entendu parler de lui et que ça serait un flop". Même les plus grands peuvent se tromper.