Rencontre avec l’actrice italienne pour ses débuts de réalisatrice, découverts à Cannes et portés par un duo magistral : Alba Rohrwacher- Maayane Conti
Votre premier long métrage de réalisatrice, Marcel ! raconte l’histoire d’un rapport complexe entre une petite fille et sa mère qui l’aime certes mais sans parvenir à l’exprimer, semblant même lui préférer son chien (et partenaire dans les spectacles de rue où elle se produit) qui donne son titre au film. Mais voilà deux ans, vous aviez déjà signé un court, Being my mom, déjà autour d’une relation mère- fille. C’était un galop d’essai pour le long ?
Jasmine Trinca : Non, j’avais vraiment entrepris ce court sans me projeter vers l’avenir. Mais j’y dirigeais déjà Alba (Rohrwacher) et Maayane (Conti) et c’est en les voyant ensemble, sur le plateau et encore plus en dehors qu’est née l’idée de Marcel !. Les deux n’arrêtaient pas de jouer ensemble entre les prises. Maayane s’amusait souvent à faire le chiot et Alba, la propriétaire dudit animal. Cette situation qui pourrait être cruelle sur le papier donnait naissance à des sommets d’absurde grâce à leur complicité inouïe. Et c'est e qui m’a donné envie avec ma scénariste Francesca Manieri de m’appuyer sur leur relation pour développer un long métrage, de nouveau centré sur une relation mère- fille et inspiré par ce que j’ai pu vivre enfant. Mais avec cette idée de transcender la réalité. Car la réalité ne m’intéresse pas. En faisant ce film, je voulais aller au- delà de ma vie, des joies comme des douleurs qui ont pu être les miennes.
Comment crée t’on ce personnage de mère égocentrée tout en la rendant incroyablement attachante ?
Je ne voulais surtout pas raconter une mère uniquement et entièrement dévouée à sa fille. Ca ne m’intéressait pas une seconde. Et ça ne correspondait à rien à ce que j’ai vécu moi : ma mère était une femme libre, non soumis aux diktats de la société. C’est cela qui, à mes yeux, allait la rendre attachante. Il n’y avait pas besoin de rajouter quoi que soit d’autre.
Comment avez- vous découvert Maayane Conti, absolument stupéfiante dans ce film ?
Etant actrice et n’ayant pas vécu que des expériences heureuses dans cet exercice, je déteste faire faire des castings à d’autres. Mais je n’aime pas non plus les enfants- acteurs car tout est souvent trop mécanique et précisément pas assez enfantin chez eux. Mais pour Mayaane, j’ai eu une chance folle. Elle est française, elle habite à Paris mais son père est italien et nous sommes amis depuis des années. Donc j’ai eu l’occasion de la voir grandir et Mayaane me rappelle l’enfant sauvage que j’ai pu être. Je me suis donc spontanément vue en elle pour ce personnage. Mayaane est un peu mon Antoine Doisnel
Comment vous qui n’aimez pas le côté rigide des enfants acteurs l’avez- vous dirigée ?
Surtout pas comme une enfant ! Jusqu’à « moteur », Mayane n’est absolument pas concentrée. Et puis soudain toute sa puissance explose. Elle avait tout compris du rôle et des situations. Je pourrais la regarder pendant des heures sans m'ennuyer une seconde…
Et sa mère ne pouvait être incarnée que par Alba Rohrwacher ?
Oui, on a écrit ce film pour elle. Alba fait partie de ces rares comédiennes qui peuvent absolument tout jouer. On a l’habitude de la voir dans des films très intenses. Elle a ce côté volcanique. Mais c’est aussi et surtout un caméléon. Et avec Marcel !, je voulais montrer cette douleur qu’elle sait si bien exprimer mais moins frontalement, comme déguisée en quelque sorte. Alba a répété tout l’aspect artiste de rue de son personnage, tout ce côté physique du personnage de son côté. Et pour ce qui est du jeu, on a simplement discuté ensemble. On n’a pas eu besoin de répéter.
Comment arrive t’on à s’éloigner de ce qu’on a vécu et en faire une histoire universelle ?
En ayant en permanence en tête ce qui a constitué ma référence centrale : The Kid de Charlie Chaplin, le symbole parfait à mes yeux de cette universalité et de cette intemporalité que je recherchais
Il y a dans votre film un vrai travail sur les couleurs. Comment avez-vous construit cette atmosphère visuelle avec Daria d’Antonio, la directrice de la photo de La Main de Dieu de Paolo Sorrentino ?
Je voulais que l’image constitue un personnage à part entière de Marcel !. Avec Daria, on a souhaité partir de situations réalistes pour les emmener ailleurs, comme cauchemardées, fantasmées. Afin qu’on ne sache précisément jamais si ce qu’on voit est vrai et inventé. Et cela passait en effet par un travail sur les couleurs. Chez la mère, règne une dominante de rouge qui a de quoi effrayer autant que fasciner. Chez les grands- parents, c’est plus neutre, beige, comme un refuge possible pour cette petite fille. On a joué sur les contrastes
Comment avez-vous vécu cette première expérience derrière la caméra pour un long métrage ? Vous vous êtes sentie à l’aise à diriger une équipe ?
C’est dur évidemment. Intense aussi. Mais j’ai adoré. Je ne me suis pas sentie comme une chef sur ce plateau. J’ai d'abord vécu cette expérience comme un geste collectif avec pour mission, plus que de diriger, de donner des forces, de l’envie, de l’enthousiasme aux autres. Et pour ma part, je suis enthousiaste à l’idée de renouveler cet exercice.
Commentaires