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Rencontre avec le réalisateur de The Raid et sa suite.

Première : Pour The Raid 2, vous aviez deux solutions. Trouver un autre building ou trouver une toute nouvelle approche.
Gareth Evans : C’est vrai. Sauf que je n’ai pas vraiment eu à choisir. En réalité, après notre tout premier film Merantau, j’étais parti sur un autre projet, intitulé Berandal, sur un type ordinaire qui se retrouve impliqué avec la mafia et assiste à la chute d’un empire de la pègre. On a passé deux ans à chercher le fric pour le faire. Au bout d’un moment, on s’est rendu compte que ça faisait long sans rien tourner, et on a décidé de se rabattre sur un plan B : The Raid. Je m’attelle donc à l’écriture de ce film où une équipe de SWAT fait une intervention dans un building. Mais je ne peux pas me sortir Berandal de la tête. Et là, ça me frappe : pourquoi ne pas faire du héros de ce film-là un flic undercover, soit la continuation de celui que je suis en train d’imaginer pour The Raid ? C’est comme ça que Berandal est devenu la suite d’un film que je n’avais pas encore écrit ! Mais ça ne m’aurait pas excité de trouver un plus gros building. C’est déjà assez dur d’inventer cent minutes d’action non stop dans un immeuble, alors le refaire juste après, non merci ! Et puis mes sequels favorites sont celles qui chopent l’essence du premier film et parviennent à l’étendre à quelque chose de très différent. Etendre l’univers des personnages m’a donné plein de liberté : d’un seul coup, on pouvait faire une scène d’action dans le métro, dans une cour de prison, on pouvait faire des poursuites en caisse, merde, on pouvait se payer de la neige si on le voulait ! On pouvait TOUT se permettre en termes de décor et de scénographie.

Selon vous, l’action doit-elle naître du drame, ou le drame naître de l’action ?
Ça doit marcher dans les deux sens. Dans nos films, je m’efforce toujours que les scènes d’action proviennent du récit, qu’elles soient l’extension des scènes dramatiques qui précèdent. Sinon, c’est mécanique : « oh, on est page 5, faut une baston ! » Ça ne peut pas marcher comme ça. Tu plantes des « graines » dramatiques et il faut les laisser éclore pour que les scènes d’action aient un sens et un impact. Maintenant, il arrive aussi que les bagarres soient vectrices de récit, comme dans la scène de la révolte en prison dans The Raid 2. Bien sûr, c’est une scène d’action, elle est viscérale et divertissante. Mais en même temps, il y a des tas d’éléments narratifs qui se mettent en place au cours de cette séquence de cinq ou six minutes. L’action et le drame doivent servir les intérêts l’un de l’autre et avancer ensemble.

En même temps, dans The Raid 2, le dernier tiers n’est que pure violence. Et c’est ça qui est bien !A partir de quand ?L’apparition de la fille au marteau et du type à la batte de baseball.
Je ne sais pas si je suis vraiment d’accord, il y a encore pas mal de développements narratifs ensuite. En ce qui concerne la violence, j’aime qu’elle soit l’expression de l’état psychologique des personnages. Dans mon premier film Murantau, la violence était plus soft, parce que le héros était un gars doux tout juste sorti de son village. Et puis, au fur et à mesure que des sales trucs lui arrivaient, la violence devenait plus sérieuse, plus personnelle. Dans les deux Raid, surtout le premier, on a affaire à des équipes de gens entraînés à tuer, qui débarquent dans des lieux de pure menace. Dans ce type de situation, il faut neutraliser chaque assaillant pour de bon, en lui pétant une jambe, un bras, ou en le butant. C’est un environnement dans lequel la violence brute a d’emblée sa place. Ça n’a rien à voir avec une envie de « shock and gore. »

Comment gérez-vous ces plans choc qui scandent vos scènes d’action ?
On a pris l’habitude de ponctuer nos scènes d’actions par des décharges d’ultra-violence. Entre nous on appelle ça des "punch-lines". Ça permet de jouer avec ce que le public considère comme une violence « acceptable » ou non. Tu es dans le confort d’une salle de cinoche, et bang !, il y a soudain un truc si brutal que tu cries, que tu t’étrangles, ou que tu sursautes… Et deux sièges plus loin, un autre type a la même réaction que toi, et trois rangs devant, pareil. C’est ce qui crée ces moments d’expérience collective, où tout le monde réagit ensemble et se met à rigoler. Ils ne rient pas de ce qui est sur l’écran, mais de l’effet produit dans la salle. Cela amène une légèreté qui contrebalance le sérieux de ce qui se passe dans le film, et qui change le degré de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas en termes de violence. Après, il est normal que des gens trouvent qu’on va trop loin, je suis même surpris qu’il n’y en ait pas plus…

Dans ce genre de film, on est contraint à la surenchère, il faut démarrer fort et faire encore mieux ensuite…
Dans les films d’action, s’il y a bien une chose que je déteste, c’est quand ça démarre par dix minutes de folie et qu’ensuite, tu te rends compte que c’était la meilleure scène du film. Ça, ça a le don de me rendre dingue ! Tu te dis "oh putain, WOOWWW !!!!" et ensuite, c’est déception, déception, déception, et ça finit tout plat. Nous, on essaie toujours de garder le meilleur pour la fin. C’est-à-dire le plus élaboré, le plus compliqué, le plus complexe en termes de chorégraphie, quelque chose qui soit digne de résoudre toute la tension accumulée. Pour The Raid 2, on a décidé de mettre à la fin les affrontements avec la fille au marteau et le type à la batte de base-ball, puis d’enquiller direct avec le combat final. Ha ha ha ! OK, je me suis fait plaisir, en calant comme ça deux énormes bastons l’une derrière l’autre, sur dix ou onze minutes non stop. Mais je me disais "bon, les gars, ce sera mon dernier pur film d’arts martiaux avant au moins deux ans, alors merde, on y va à fond." Cette idée de monter en intensité et de finir encore plus fort, c’est presque une question d’éthique pour moi.

J’imagine que vous faites des films d’arts martiaux, parce que vous en êtes fan ?
Exactement !

Et c’est une très bonne raison, d’ailleurs. . .
Ahahah !

Mais n’est-ce pas un peu frustrant d’être l’un des derniers représentants du genre ? Vous n’avez pas envie de voir d’autres films cools, qui ne soient pas faits par vous ?

Il y a toujours des stars et des réals qui font des bons trucs. John Hyams ou Isaac Florentine savent très bien faire monter la sauce sur le plan des arts martiaux. En Occident, ce sont eux qui portent le flambeau. En Asie, il reste pas mal de super artistes martiaux. A Hong Kong, Donnie Yen est en pleine renaissance, il n’y a qu’à voir le nombre de films qu’il tourne. Je suis un grand fan de Ip Man ou Flash Point. Et puis, il faut avoir conscience que le genre a toujours alterné entre des périodes fastes et des périodes creuses. Notre génération a eu droit à un vrai âge d’or. Les années 80 et le début des années 90, c’était un truc de fou.

Un truc de malade, oui.
Et puis du milieu des années 90 à disons 2004, le genre était sinistré, il ne restait que quelques films avec des pop stars lancées sur des câbles. Hong Kong était en crise… Et puis Ong-Bak est sorti et a tout relancé en Thaïlande. C’était il y a déjà dix ans. Peut-être que les très bons films se font à nouveau plus rares, mais ça va redémarrer. Je regarde beaucoup ce qu’ils font au Vietnam, avec des gens comme Johnny Nguyen, et c’est du lourd… Le changement, c’est que dans les années 80-90, c’était dur de trouver ces films, il fallait les chercher dans les vidéoclubs, dans les quartiers chinois, et cette quête créait un appétit dévorant chez les fans, et une immense loyauté vis-à-vis des auteurs et des acteurs, justement parce c’était si compliqué de mettre la main dessus. Sans compter qu’il y avait un énorme back catalogue de films qui n’étaient jamais sortis et qu’on découvrait tous d’un seul coup, les uns derrière les autres. Maintenant, l’accès aux films est instantané, facile. Ça a un peu tué ce sentiment précieux de mettre la main sur des trésors cachés. Mais je pense que le talent est toujours là.

Fondamentalement, Murantau et The Raid 1 ressemblaient à des films thaïlandais. The Raid 2 est plus coréen…
Comme je le disais, Ong-Bak a été une énorme claque, il m’a refait croire aux films d’arts martiaux et il a eu une très grande influence sur Murantau, même si on avait mis pas mal d’éléments de Big Boss aussi, et des trucs qui venaient de Jackie Chan. Pour nous tous, c’était notre première tentative. Iko Uwais, moi, on apprenait sur le tas. The Raid, c’est autre chose. Dans notre esprit, ce n’était pas vraiment un film d’arts martiaux mais un survival d’horreur avec des arts martiaux en bonus. On peut y discerner l’influence de Assaut, de [Rec], du clip de Born Free (M.I.A) réalisé par Romain Gavras, toutes choses nous permettant de créer un univers visuel pas forcément associé aux arts martiaux d’habitude. Pour The Raid 2, oui, on était plus sur les films coréens ou les films de yakuza japonais. J’adore les films de Na Hong-jin The Chaser et The Murderer ; j’adore I Saw the Devil de Kim Jae-won, qui est terriblement sous-estimé. Mais Takeshi Kitano ou Takashi Miike comptent aussi beaucoup dans le style d’humour à froid que nous utilisons, les éléments les plus « outrageous » traités avec un certain stoïcisme. La difficulté, c’est qu’un bon film de gangsters, c’est deux heures dédiées à la mécanique narrative, aux trahisons etc. Alors quand tu y ajoutes 55 minutes d’action pure, comme dans The Raid 2, forcément, ça se met à faire long ! Et encore, on a coupé, coupé… Au moins trente-cinq minutes, dont quinze d’action.

Vous êtes frustré par l’état des blockbusters américains ?
Ahahahah, pas facile de répondre à ça ! La diversité me manque, ça c’est sûr. Il n’y a que trois ou quatre types de films qui sont tournés et marketés aujourd’hui en tant que blockbusters. Il y avait tellement plus de variété par le passé ! Des films comme Les Goonies, Roger Rabbit, ces films prototypes, tous différents les uns des autres même si tous destinés au même jeune public. Donc oui, je trouve que c’est un peu monotone ces temps-ci. Pour ce qui est de la représentation de l’action, je pense qu’il y a des super chorégraphes aux US, mais leur boulot est saboté par la mise en scène ou le montage. Ce genre de scènes demande de la clarté topographique. Il faut qu’on s’y retrouve à chaque instant, et cette qualité se perd dès lors que les films sont sur-découpés. Laissez respirer les scènes, bon sang ! J’ai vu des tas de prévisualisation vidéo faites par des chorégraphes. Certaines sont démentielles, mais quand tu regardes le résultat à l’écran, le réal, le chef-op et le monteur ont tout foutu en l’air. Il faudrait plus de respect pour les chorégraphes. Ces mecs-là savent ce qu’ils font ! Ils savent quoi tourner, ils savent comment le tourner et comment le présenter de manière à accentuer l’impact des scènes. J’aimerais bien que ça change et ça viendra, forcément.

Vous allez vous y coller vous-même ?
Oui, c’est prévu. J’ai deux projets, un aux US, un en Angleterre – l’un beaucoup plus action que l’autre. Mais oui, c’est le plan, aller là-bas et réussir à y faire mon truc. J’ai pris du temps, j’ai été très prudent avant d’aller à Hollywood, mais les mecs avec lesquels je développe aujourd’hui mes projets ont l’air sur la même longueur d’ondes que moi, ils ne cherchent pas à diluer ce que je fais, au contraire, c’est ça qui leur plait ! Après le premier The Raid, j’ai dit non à beaucoup de choses, parce que je ne voulais surtout pas qu’on m’engage parce que The Raid était cool et branché, tout en attendant de moi que je m’éloigne de mon style.

Vous avez besoin de garder un pied en Asie ?
Ah oui, sûr. C’est un vrai deal breaker. A chaque discussion, j’ai toujours dit « je viens, à condition que Iko Uwais soit mon chorégraphe. » L’idée, c’est de faire deux films là-bas, deux films ici. Enchaîner, si les films que je fais en Occident ne sont pas trop pourris, puis venir me ressourcer ici. Il y a encore tant d’histoires que j’ai envie de raconter avec un background indonésien, il y a une telle richesse historique et culturelle que je n’ai même pas encore effleurée… Oui, ça restera une part essentielle de moi.

Iko Uwais et Yahan Ruhian sont vos chorégraphes mais aussi vos stars. Qu’est ce qui définit un bon artiste martial à l’écran selon vous ?
Ce qui fait un grand artiste martial à l’écran, ce n’est pas que ses aptitudes physiques. J’ai auditionné des centaines de bêtes en arts martiaux, et s’ils ne sont pas bons en castagne filmée – ce qui est une toute autre discipline – alors c’est sans espoir, ils n’y arriveront jamais. On ne le dit pas assez, mais c’est super dur de gérer le jeu d’acteur en même temps que la perf physique. Dans une scène comme celle de la cuisine dans Raid 2, Iko doit montrer de plus en plus d’épuisement, de désespoir, d’intensité, sur la durée. Il doit avoir ça en tête à CHAQUE PLAN, sachant qu’il y a deux cents plans dans cette scène et qu’elle a été tournée sur dix jours ! Il doit donc identifier précisément le moment du combat où il se trouve pour projeter le bon niveau d’intensité. Et ce ne sont que des petites poches de plans de deux, trois secondes, qui doivent à la fin constituer un tout où l’état physique et mental du personnage progresse de manière cohérente. C’est beaucoup plus dur qu’on ne le croit.

Vous ne faites jamais de longs plans de référence (master shots) ?
Presque jamais, non. Quand je tourne, je fais toujours un video storyboard, qui nous sert ensuite d’élément de base. Souvent juste moi, Iko et Yahan dans un bureau avec une caméra vidéo et des matelas de gym. On tourne chaque plan de la scène, on détermine chaque angle, chaque mouvement de caméra. Ensuite, on a cette vidéo sur le plateau et on s’y réfère pour monter instantanément ce qu’on vient de faire. Si quelque chose ne marche pas, je le vois direct, et comme on est encore sur le bon lieu de tournage, hop, je fais un insert ou un plan qui règle ce problème de montage. On fait ça depuis Murantau. A la base, c’était un filet de sécurité, mais on s’est rendu compte qu’on y gagnait beaucoup sur le plan de la créativité.

Si vous deviez choisir vos chorégraphes favoris ?
Jackie Chan, je l’ai regardé toute mon enfance. Mais j’ai aussi une vraie passion pour les films de Jackie dont Sammo Hung a fait la chorégraphie, parce qu’il amène une intensité dont Jackie en solo se méfie un peu. Prenons First Mission, bon sang, il y a de la chorégraphie sacrément intense là-dedans. Jackie y fait des trucs qu’il ne fait pas d’habitude. En résumé, Jackie et Sammo ensemble, c’est encore mieux ! Ensuite, j’ai une admiration sans borne pour Yuen Woo-ping, pour son talent et sa versatilité. J’ai bien conscience de m’être un peu enfermé dans un style un peu cru, rude, agressif et, si l’on peut dire, réaliste. Mais j’aime aussi des chorégraphies plus « jolies, » plus racées, comme celles qu’a pu régler Yuen Woo-ping dans Tigre et DragonHero ou Le Secret des poignards volants, des choses stupéfiantes, d’une grande beauté. J’ai aussi un énorme respect pour Panna Rittikrai de Thaïlande, pour son style, tout ce qu’il a apporté. Sans même parler de Ong-Bak, regardez sa série des années 80 Born to Fight dans laquelle il jouait lui-même. Wow, ces trucs étaient déments, fous ! Lui, c’est un vrai pionnier, même s’il n’est devenu populaire que dans les années 2000.

Vous n’êtes jamais jaloux du travail des autres ?  
Non. Quand tu fais ce type de films, tu réalises à quel point c’est dur. Parfois, je te jure, je tuerais pour tourner des films avec deux gars qui papotent dans une pièce. Ça doit être tellement paisible et relaxant ! Pour nous, réalisateurs de films d’action, il est terriblement dur de mettre ce qu’on a en tête sur l’écran. Toute la prépa du monde n’empêchera pas que ça foire lamentablement, et ça me donne un respect fou pour toute personne s’essayant au genre. Je ne me sens jamais en compétition avec les autres, je me sens inspiré par eux. A chaque fois que quelqu’un se lance dans un truc d’arts martiaux ou un film de gunfights, j’y vais plein d’excitation, en espérant tomber sur le plan qui me rendra dingue, le petit bout de chorégraphie où je me dirai « oh putain, qu’est ce que j’aurais aimé trouver ça ! ». Il n’y a jamais de rivalité, juste un challenge : « ok, à nous de jouer pour aller encore plus loin. » Un truc très sain.Interview Guillaume Bonnet

The Raid 2 de Gareth Evans, avec Iko Uwais, Julie Estelle, Yayan Ruhian sort mercredi dans les salles.