Le film de Martin Scorsese fête ses 20 ans.
En ce 20 décembre 2022, Gangs of New York a tout juste 20 ans ! S'il est sorti en France quelques semaines plus tard qu'aux Etats-Unis (le 9 janvier 2003), sa star Leonardo DiCaprio était bien en une du numéro de Première de décembre 2002. Au sein du dossier spécial consacré au film de Martin Scorsese, le cinéaste se livrait sur la longue fabrication de cette oeuvre racontant le conflit entre un groupe d'Américains de souche anglaise et un autre composé d'immigrés irlandais. Leur violent affrontement, limité à un quartier de New York, s'est déroulé pendant qu'une guerre civile plus générale faisait rage dans le pays.
Cette histoire, Scorsese rêvait de l'adapter depuis les années 1970 : avant d'engager Leonardo DiCaprio et Daniel Day-Lewis dans les rôles des deux adversaires, il avait d'abord pensé à Dan Aykroyd et John Belushi, soit les deux stars des Blues Brothers ! Robert De Niro et Willem Dafoe furent également approchés pour tenir le rôle de Bill le Boucher, mais faute de financements conséquents, le réalisateur a plusieur fois dû reporter son film.
Au début des années 2000, Gangs of New York a enfin été lancé, et DiCaprio a ainsi pu raconter dans Première son arrivée sur ce projet, sa collaboration avec Scorsese marquant le point de départ d'une relation fidèle sur grand écran : ils se sont depuis retrouvés sur Aviator (2004), Les Infiltrés (2006), Shutter Island (2010), Le Loup de Wall Street (2013) et Killers of the Flower Moon, attendu en 2023 sur Apple TV. Evoquant aussi son admiration pour Daniel Day-Lewis, il se livrait au passage à Christian Jauberty sur son implication dans la lutte pour préserver l'environnement, sur son amitié avec Tobey Maguire ou sur les raisons pour lesquels il n'avait jamais osé passer à la réalisation. Nous partageons ci-dessous seulement les extraits de l'interview consacrés à Gangs of New York.
Une série Gangs of New York en préparation : Martin Scorsese réalisera les deux premiers épisodesPREMIÈRE : Qu’est-ce qui vous a décidé à faire Gangs of New York ? Le sujet ou la perspective de travailler avec Martin Scorsese ?
LEONARDO DICAPRIO : Scorsese, bien sûr. Quant au sujet, j’ignorais tout de cette époque. Il n’y avait rien à ce propos dans mes livres d’histoire. Pourtant, c’était la naissance de l’Amérique moderne, la création d’une société pluraliste avec des gens venus de tous les horizons. C’était aussi les premières émeutes urbaines, New York servant, comme c’est souvent le cas, de laboratoire pour le reste du pays. Imaginez un espace réduit, dans le pire quartier de la ville, peuplé de hordes d’immigrants assoiffés de libertés et d’opportunités: le terreau idéal pour des situations explosives. Et tout ça au début de la guerre de Sécession.
On dit que le tournage a été long et compliqué.
Permettez-moi un petit retour en arrière. Scorsese travaille sur ce projet depuis vingt ans. Moi, j’avais 17 ans quand j’en ai entendu parler pour la première fois. Ça me semblait être un film parfait pour moi. À l’époque, j’ai changé d’agence artistique dans l’unique espoir de pouvoir obtenir un rendez-vous avec lui. Il a bien eu lieu, mais sept ans plus tard, alors que je me préparais à tourner La Plage. Scorsese a dit à Michael Ovitz [l’un des plus puissants agents d’acteurs à Hollywood] que le prochain film qu’il voulait réaliser était Gangs of New York. Ovitz lui a parlé de mon envie de faire le film et tout a commencé à se mettre en place. Je me suis mis à travailler mon rôle, aussitôt La Plage terminé. Gangs... a été repoussé une première fois parce que Scorsese est un perfectionniste. Malgré tout, j’ai poursuivi l’entraînement physique pendant un an et demi, chose que j’ai détestée. Nous avons tourné pendant des mois et des mois, la production s’est éternisée. Mais si c’était à refaire, je le referais demain. J’ai été de toutes les étapes avec Scorsese: le développement, le casting, l’évolution de l’histoire... Et j’ai adoré chaque minute de ce qui est, à ce jour, ma plus belle expérience de cinéma.
Parlez-nous de cet entraînement physique très particulier.
J’ai fait de la gym pendant un an, avec beaucoup d’entraînement au combat. J’ai étudié les styles de boxe et de lutte qu’utilisaient les gangs irlandais de l’époque. Ce sont des guerriers celtiques primaires obéissant à des valeurs traditionnelles qui se retrouvent soudain plongés dans la société la plus moderne de l’époque. Ils se servaient parfois d’armes à feu mais considéraient qu’il n’était pas honorable de se battre de cette manière. Je ne veux pas en dire trop, mais mon personnage est obligé d’apprendre à manier le couteau...
Qu’avez-vous retiré de votre collaboration avec Scorsese ?
Quand on passe trente minutes dans une pièce avec Martin Scorsese, on en ressort en ayant plus appris avec lui sur l’histoire du cinéma qu’en trois ans dans une école spécialisée. Ce type est une bibliothèque vivante capable de vous détailler n’importe quel aspect du cinéma. C’est l’un des rares grands maîtres en exercice. La liste de ce que j’ai appris à son contact est trop longue pour être dressée. Il m’a ouvert les portes d’un monde dont j’ignorais à peu près tout: le néoréalisme italien, les films de Kurosawa... Sur le plateau, bien sûr, j’ai apporté mes idées. Mais quand vous bossez avec Scorsese, le mieux que vous ayez à faire, c’est de vous taire et de l’écouter. Mais le plus important est moins ce qu’il dit que sa façon d’être impliqué, jusqu’à l’obsession, dans ce qu’il fait.
Peu de gens ont vu Gangs of New York, mais certains s’inquiètent déjà de la violence du film...
Il faut montrer honnêtement ce qui se passait à cette époque. C’était une période de brutalité sauvage. Le reste relève de la responsabilité du réalisateur. Mais Il faut sauver le soldat Ryan renfermait aussi quelques-unes des scènes les plus violentes que j’aie jamais vues, et tout le monde a félicité Spielberg d’avoir restitué l’horreur de la guerre telle qu’elle était.
Que pouvez-vous nous dire de Daniel Day-Lewis ?
Daniel est l’un des plus grands acteurs qui ait jamais existé. Je n’ai jamais vu quelqu’un s’investir autant dans un rôle. Pendant la pause-déjeuner, je l’entendais aiguiser ses couteaux de boucher dans la pièce à côté. Il a parlé comme Bill le Boucher pendant les neuf mois de tournage. Mais les gens ont probablement une idée fausse de ce qu’il représente. Il n’est ni inaccessible ni incapable de communiquer. C’est quelqu’un de très agréable, d’ouvert, de remarquablement intelligent. Qu’il parle avec l’accent traînant des rues de New York au dix-neuvième siècle ne veut pas dire qu’il n’est pas prêt à discuter avec vous d’une scène pendant deux heures, ou simplement de boxe.
Mais vous, vous ne travaillez pas comme ça ?
Non. Je crois que je deviendrais fou si je devais rentrer chez moi le soir en restant dans la peau du personnage. Chacun son truc. Heureusement, je suis capable de me concentrer à la demande.
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