En compétition et hors compétition, ce que la rédaction de Première a préféré durant le festival.
Armageddon Time de James Gray (en compétition)
Après dix ans d’absence à Cannes (il avait préféré montrer The Lost City of Z à Berlin et Ad Astra à Venise), James Gray était de retour dans la course à la Palme d’or avec un récit initiatique aux accents autobio, drame d’enfance chuchoté aux couleurs automnales. Derrière le tempo languide de la chronique eighties (un tempo un peu trop mou, selon une partie de la rédac), se cache un constat explosif sur le crash des idéaux américains. En bonus : un immense numéro d’Anthony Hopkins, qui se taille une place de choix dans l’anthologie des meilleurs grands-pères de l’histoire du cinéma.
Sortie prochainement
As Bestas de Rodrigo Sorogoyen (Cannes Premiere)
Visiblement passé tout près de la compétition (« Le film est arrivé très, très tard dans le processus », assure avec une pointe de regret dans la voix Thierry Frémaux), As bestas met en scène un couple de Français installés en rase campagne espagnole, Antoine (Denis Ménochet) et Olga (Marina Foïs), confrontés à des rednecks locaux pétés du casque et prêts à tout pour les chasser. Une guerre des voisins d'une tension hallucinante, à cheval entre le film d'horreur et le western. Après El Reino et Madre, le prodige espagnol Rodrigo Sorogoyen confirme tous les espoirs fondés sur lui.
Sortie le 20 juillet
Les Amandiers de Valéria Bruni-Tedeschi (En Compétition)
Valeria Bruni-Tedeschi raconte l’Ecole des Amandiers animée dans les années 80 par Patrice Chéreau - et dont elle fut alors l’une des élèves - dans un film choral explosif et foisonnant qui vous emporte par la puissance de sa réflexion sur la manière d’être comédien et de vivre ce métier pas comme les autres qui oblige à s’abandonner au risque de se perdre. Devant sa caméra une bande d’acteurs phénoménale dominée par celle qui l'incarne : Nadia Tereszkiewicz.
Sortie le 9 novembre
Les Bonnes étoiles de Hirokazu Kore-Eda (En Compétition)
Trente ans que Kore-eda parle de familles détraquées. Ici on suit deux voyous, un gamin des rues et une jeune femme paumée qui tentent de revendre le bébé que cette dernière a décidé d’abandonner. Commence un drôle de road movie qui va forcer ces marginaux à cohabiter le temps d’un trip existentiel... Même exilé en Corée, Kore-Eda reste donc fidèle à son cinéma : il filme ses solitudes abîmées, à hauteur d'enfant, comme autant des toons hirsutes (on pense beaucoup à Miyazaki et au Tokyo Godfathers de Satoshi Kon) indissociables du van déglingué qui les fait exister. Il s’affirme surtout, une fois de plus, comme un aquarelliste de génie : prenant progressivement une ampleur folle, son drame miniature aux climats changeants a réussi en deux micro-scènes (la grande roue et le rituel du soir) à faire craquer Lumière. Imparable.
Sortie le 7 décembre
Les Crimes du futur de David Cronenberg (En Compétition)
On a beau y disséquer le corps d'un gamin, se faire pousser des oreilles sur le corps ou tuer des gens à la perceuse, la vraie scène choc du nouveau Cronenberg est celle où un gamin mange une poubelle en plastique. Voilà bien quelque chose d'inédit dans son cinéma, qui reste en tête, avant que le film ne nous plonge dans l'interzone d'une Athènes crépusculaire hantée de performers un peu nuls et de charlatans de la biotech. Au fond, quel est le projet des Crimes du futur ? Ne pas livrer une quelconque prophétie (destinée à fatalement à être très vite ringarde) sur l'état du monde, ou prospecter une "nouvelle chair". Mais revenir sur le cinéma cronenbergien, ses excès et ses parodies, et livrer une autopsie de soi-même avant que tout ne se termine.
Déjà en salles
Decision to Leave de Park Chan-wook (En compétition)
Pas trop tordu, le Park Chan-wook 2022 ? Pour son retour sur la Croisette, le réalisateur d'Old Boy et de Mademoiselle a l'air de tourner le dos à son bondage mécanique pour aller vers un romantisme apparemment très soft : un flic maniaque devient obsédé par la suspecte du meurtre de son mari. Résultat, une sorte de Sueurs froides absurde, ou de Basic Instinct sans sexe, tournant autour de l'idée magnifique des amants contrariés, irrésistiblement attirés mais interdits du moindre contact. Carrément obsédant - à l'image de l'incroyable actrice Tang Wei - tragique, drôle et mélancolique... Bien tordu, en fait.
Sortie le 29 juin
Elvis de Baz Luhrmann (Hors compétition)
Parodiée à outrance et semi-ringardisée avec les années, la figure d'Elvis n'attendait que Baz Luhrmann pour retrouver ses couleurs originelles. Biopic « heightened » comme disent les Américains (comprenez augmenté, survitaminé, tendance montagnes russes), Elvis raconte autant la vie de Presley - le foudroyant Austin Butler - que l'évolution de son pays sur trois décennies. Filmé comme un super-héros de la pop culture, le King est définitivement ressuscité. Elvis has entered the building.
Sortie le 22 juin
EO de Jerzy Skolimowski (En compétition)
Dans un hommage bressonien (Au Hasard Balthazar), le polonais Skolimowski, 84 ans, signe un film animiste dans lequel un âne prend en charge un récit quasi-cosmique. Du cirque où il est chassé, Eo va être trimballé de droite à gauche et croiser une humanité peu glorieuse (alcooliques, trafiquants, Huppert qui casse des assiettes...) De son œil malicieux, on sent poindre ironie, lassitude et résignation. A hauteur d’âne, on se voit mieux. A l’image, Skolimowski, plasticien et peintre dans l’âme, sidère par des envolées formelles et sonores, d’un lyrisme décomplexé.
Sortie prochainement
Falcon Lake de Charlotte Le Bon (Quinzaine des Réalisateurs)
C’est son coup de foudre pour Une sœur, le roman graphique de Bastien Vivès, qui a donné à Charlotte Le Bon l’envie de passer le cap. De s’essayer au format long après un premier court. Falcon Lake raconte une coming of age story et explore les pulsions sexuelles débordantes qui surgissent à l’adolescence en plongeant ses deux héros (un garçon de 13 ans et une fille de 3 ans son aînée) à la lisière du fantastique. Un film à l’atmosphère envoûtante servi en outre par la qualité de sa direction d’acteurs (Joseph Engel, révélé chez Louis Garrel, et Sara Montpetit en tête).
Sortie prochainement
Leila et ses frères de Saeed Roustaee (En Compétition)
Comme dans La Loi de Téhéran qui l'avait révélé en 2021, le nouveau film de Saeed Roustaee s'ouvre par une séquence qui impose définitivement la puissance formelle de ce cinéaste surdoué. Après son prologue infernal, on plonge dans un drame familial qui reflète les dérèglements de la société iranienne. Si les critiques ont sorti la carte Farhadi un peu trop facilement (le film fuit précisément le réalisme et flirte avec la comédie italienne), l'histoire de cette famille qui se déchire pour arracher des lambeaux d’héritages au patriarche nous a plutôt fait penser à Succession - la tragédie, l'incroyable maîtrise formelle et l'ironie cruelle.
Sortie le 24 aout
La Nuit du 12 de Dominik Moll (Cannes Premiere)
En racontant l’histoire d’une enquête – qu’il nous indique dès le départ non résolue, dans un geste audacieux - sur la mort d’une jeune femme brûlée vive par un pyromane, Dominik Moll s’empare de la question des violences faites aux femmes. Il montre en quoi le fait que les investigations sur ces féminicides soient menées par des policiers majoritairement masculins influe sur les interrogatoires et donc le résultat de l’enquête en lui-même. Un thriller prenant, quelque part entre L627 et Memories of murder, dominé par une tension permanente qui ne cesse de nous faire croire qu’on a mal lu le panneau initial.
Sortie le 13 juillet
Le Otto Montagne de Charlotte Vandermeersch et Felix Van Groeningen (En Compétition)
C’est l’histoire d’une amitié. Celle de Pietro, l’enfant solitaire de la ville, et de Bruno, le gamin farouche de l’alpage. Pendant des années le petit Milanais revient au village pour repartir et ressentir à nouveau la nostalgie des cimes. Et puis un jour les deux amis se quittent… avant de se retrouver. Histoire d’amitié, récit d’initiation, le film avance entre éveil et mélancolie flirte parfois trop avec les leçons de vie, mais comme toujours chez Groeningen il s’agit d’embarquer son spectateur dans un grand 8 émotionnel. Son arme ultime ? Les cîmes. Magnifiquement cadrée dans un format carré qui oblige les personnages et les spectateurs à lever les yeux, la montagne n’est pas juste un cadre poétique. Elle transforme les héros, agit sur eux et donne à cette chronique existentielle une intensité folle.
Sortie le 21 décembre
Revoir Paris d'Alice Winocour (Quinzaine des réalisateurs)
Alice Winocour raconte le chemin de croix vécu par les survivants d’un attentat pour retrouver la mémoire précise de la tragédie, seul moyen pour eux de reprendre le cours de leurs vies. Dédié à son frère (présent au Bataclan le soir du 13 novembre 1995, mais sorti vivant) ce film est une oeuvre aussi déchirante que digne, puissamment organique dans sa manière de raconter ces reconstructions mentales et physiques des rescapés. En une heure quarante-cinq, Winocour (re)donne voix et corps à des souffrances qui sont devenues bien plus que ça - un fait social, un enjeu politique. Dans ce registre de l'incarnation, les étincelants Virginie Efira et Benoît Magimel apportent une émotion et une intensité qui aura été l'un des moments de grâce de cette édition.
Sortie le 7 septembre
Tourment sur les îles d’Albert Serra (en compétition)
Aux films encombrés de leur propre dramaturgie, Serra répond par son art du dénuement. Il laisse sa caméra s’imprégner d’un espace où les corps ne s’exhibent pas mais auraient plutôt tendance à s’effacer. Dès lors la puissance magnétique de Benoît Magimel devient incandescence. Tourment sur les îles se déroule à Tahiti sur fond de reprise possible des essais nucléaires français. Un Haut-Commissaire fatigué tente de rassurer une population qui n’écoute qu’à demi ce fantoche. La mise en scène de Serra offre des moments de grâce dingue. Beau comme un coucher de soleil sur la lagune.
Sortie prochainement
Trois mille ans à t’attendre de George Miller (hors compétition)
Sept ans après Fury Road et juste avant de retourner peaufiner le mythe Mad Max avec le prequel Furiosa, George Miller s’autorise une petite pause réflexive avec cet étonnant et très séduisant film en chambre, où Tilda Swinton (en experte en narratologie) et Idris Elba (en Djinn découvrant le monde moderne) voyagent dans le temps et l’espace grâce au pouvoir des histoires. Un trip envoûtant, à la fois ludique et profond, signé d’un des conteurs les plus inventifs du dernier demi-siècle, jamais là où on l’attend.
Sortie le 24 août
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