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Prisoners fête ses 10 ans. A sa sortie, nous avions rencontré son réalisateur pour parler de ce thriller violent.

Prisoners, l'enquête psychologiquement intense portée par Jake Gyllenhaal, Hugh Jackman et Paul Dano. est sorti le 20 septembre 2013 aux Etats-Unis, puis le 9 octobre de la même année en France. A l'époque, Première avait rencontré Denis Villeneuve pour parler en détail de ce projet ambitieux. Depuis, le réalisateur a connu d'autres succès grâce à Sicario et Premier contact. Il est actuellement en train de préparer la deuxième partie de Dune, reportée en mars 2024, et s'apprête à retrouver Gyllenhaal pour une mini-série policière.

Le saviez-vous ? Denis Villeneuve a tourné deux fins pour Prisoners

Entretien du 4 octobre 2013 : Denis, remettons un peu d’ordre dans votre filmo si vous le voulez bien. Entre Incendies (nommé à l’Oscar du meilleur film étranger en 2010) et Prisoners, vous avez tourné Enemy, un thriller mental avec Jake Gyllenhaal. Mais c’est Prisoners qui sort en salles le premier. Qu’est-ce qui s’est passé ?
En fait, j’ai signé pour les deux films à six jours d’intervalle. Je développais Enemy depuis un an ou deux et, un vendredi soir, Jake Gyllenhaal m’appelle pour me dire qu’il est OK pour faire le film. Moins d’une semaine après, je reçois un message me disant que Hugh Jackman est partant pour Prisoners. Je me suis donc retrouvé avec deux films à tourner coup sur coup… Ensuite, en termes de distribution, il faut savoir que quand les Américains sortent un film comme Prisoners, c’est une opération militaire. Ils savaient 18 mois avant que la sortie serait le 20 septembre 2013, ils avaient un désir puissant d’aller à Toronto, tout était inscrit dans un calendrier précis… Toute la structure de fabrication du film était faite en fonction du plan marketing. Je n’avais jamais expérimenté ça. Enemy, c’est autre chose : un petit film qui doit être apprivoisé en festival, un objet fragile qui doit venir au monde plus tranquillement. Il sortira plus tard. En mars 2014 a priori. 

Et on peut imaginer qu’il va bénéficier du succès de Prisoners
Il y encore dix jours, je n’aurais pas su quoi vous répondre, mais oui, étant donné le succès critique et public de Prisoners aux Etats-Unis, je suis maintenant assez confiant.

Lire notre critique de Prisoners

Et j’imagine que Jake Gyllenhaal a signé pour Prisoners parce qu’il était content de votre collaboration sur Enemy
Exactement. Sur Enemy, j’avais envie de passer beaucoup de temps avec un comédien, de développer une vraie relation de travail, de concevoir le tournage comme un laboratoire. Jake sortait de gros films de studio qui n’avaient pas toujours été des expériences heureuses, et je pense que je suis arrivé au bon moment avec mon film indépendant et un peu fauché. Sur Prisoners, comme Hugh Jackman est un comédien costaud, j’avais besoin d’un acteur capable de lui renvoyer la balle. J’avais besoin de Jake.

Il est exceptionnel dans le film, c’est l’une de ses meilleures performances. On a vraiment l’impression qu’il se passe un truc entre vous. Vous avez trouvé votre De Niro ?
On est devenus de bons ennemis… On s’aime et on se déteste. On se connaît très bien, on a une vraie intimité qui, sur un tournage, peut devenir gênante pour le reste de l’équipe. On se parle de façon très directe, sans filtre. C’est quelqu’un qui m’inspire profondément. C’est aussi un acteur qui est en train de mûrir de manière radicale et qui va nous surprendre dans le futur. Ses meilleurs rôles sont devant lui.

Les critiques de Prisoners sont délirantes, beaucoup comparent le film à Seven ou au Silence des Agneaux. Mais votre vraie référence, c’est plutôt Mystic River, non ?
Quand j’ai débarqué à Los Angeles pour mon premier meeting avec les producteurs, j’y suis allé en me disant que je n’avais rien à perdre. J’avais adoré le scénario et je suis monté dans l’avion en me disant que j’allais faire, au moins une fois dans ma vie, l’expérience de travailler avec un studio américain. Ça s’est bien passé, d’ailleurs, sinon on ne serait pas là pour en parler…

C’est assez rare. Beaucoup de réalisateurs, en France en tout cas, reviennent plutôt amers de là-bas…
J’avais la chance d’avoir pour interlocuteurs des gens qui savent prendre soin de leurs réalisateurs. Je m’étais renseigné avant, je savais que Christopher Nolan avait adoré travailler avec eux. Ça ne m’a pas empêché d’avoir peur au début. Martin Scorsese m’a dit : « L’essentiel, c’est d’essayer de demeurer intact. »

Bon, et Mystic River là dedans ?
Oui, donc, le premier truc que je leur ai dit à cette réunion, c’est : « Je ne sais pas pourquoi vous avez fait appel à moi, c’est un scénario pour Eastwood. » Et effectivement, plus que Seven ou le Silence des Agneaux, c’est le côté Mystic River qui m’intéressait. La mécanique du thriller était extrêmement bien huilée dans le scénario, je n’avais pas trop d’effort à faire là-dessus. Mon travail d’appropriation a été de modifier les personnages, les interactions entre eux, et de tirer le tout vers le drame.

Le film est monté par Joel Cox, le monteur attitré d’Eastwood. Ça ne peut pas être un hasard…
J’ai juste eu la chance qu’il soit disponible à ce moment-là. En fait, toute la post-production du film a été assurée par l’équipe de Clint Eastwood. Ça, c’est un cadeau de la vie extraordinaire. C’est comme pour le chef op’, Roger Deakins : il sortait de Skyfall, pour une fois les Coen n’avaient pas besoin de lui, il avait un trou dans son emploi du temps… Je n’aurais bien sûr jamais osé fantasmer travailler avec quelqu’un comme Deakins pour mon premier film américain. Mais si tous ces gens voulaient bosser sur Prisoners, c’est d’abord parce qu’ils étaient tous très séduits par le scénario.

Vous avez vu ce tweet de William Friedkin disant que Prisoners est l’un des films les plus flippants de tous les temps ? Il le compare à Seven et Psychose…
(Villeneuve rougit et plonge la tête dans ses mains) C’est un compliment immense, surtout venant de l’homme qui a fait L’Exorciste. C’est le film qui m’a fait le plus peur dans ma vie. Quand j’étais lycéen, on n’avait que deux betacam au pensionnat : un concert d’Olivia Newton John – on était tous amoureux d’elle – et L’exorciste. Ça me terrifiait tellement, je n’ai jamais été capable de le regarder d’une traite.

C’est intéressant que cet éloge vienne de Friedkin. C’est le grand cinéaste de l’ambiguïté morale et Prisoners joue à fond avec ça…
C’est vrai. Disons que c’est un cinéaste qui m’a impressionné à un moment où je suis tombé douloureusement amoureux du cinéma.

Bon, vous êtes un réalisateur américain désormais ? La suite va se jouer là-bas pour vous ?
Si on me redonne les mêmes conditions de liberté, je suis prêt à signer. Travailler à Hollywood, ça permet d’avoir du contrôle. Et de réaliser ses fantasmes. J’adorerais par exemple faire un film de science-fiction. Et là-bas, c’est possible…  

Interview Frédéric Foubert

Bande-annonce de Prisoners :

 

Prisoners est à (re)voir sur Première Max