Des fantômes, des magiciens, des bandits, Mad Max… Quelques classiques et curiosités pour mieux apprécier le nouveau film de George Miller.
L’Aventure de Madame Muir (Joseph L. Mankiewicz, 1947)
"Cessez de jurer, Daniel ! Ne pourriez-vous pas être un revenant plus gentil ?" La jeune veuve (Gene Tierney) gronde gentiment son bougon de capitaine, mort depuis longtemps (Rex Harrison), et fronce ses sourcils devant les mauvais tours qu'il joue à ses invités... Quatrième film de Mankiewicz, L’Aventure de Madame Muir est un chef-d’œuvre de romantisme onirique et raconte une histoire pas si éloignée que ça du nouveau George Miller : la confrontation entre une jeune femme rationnelle et un spectre (en l’occurrence celui d’un vieux loup de mer pas commode qui veut la faire déguerpir et ne réussit qu’à la séduire). Il est donc question d'amour fou, de la beauté des illusions, et de la grandeur du rêve face à la triste réalité. Bien avant Miller, Mankiewicz aborde surtout de front un des plus grands problèmes cinématographiques, celui de la croyance. Il ordonne sa mise en scène autour d'un échange entre une vivante qui désire qu'on lui raconte des histoires et un fantôme qui a besoin d'être écouté, entre une spectatrice et un vieux film oublié. Un bon résumé de Trois mille ans à t’attendre.
Le Prestige (Christopher Nolan, 2006)
Miller aura mis presque 10 ans à finir Mad Max : Fury Road. Mais, grisé par la sensation d’urgence, il aura su accoucher de Trois mille ans à t’attendre - monté comme une opération guérilla - en un temps record. Certains cinéastes on toujours aimé ça : glisser entre deux projets énormes un petit film. Spielberg alterne régulièrement entre sa branche auteur et ses cabrioles chromées. Et on se souvient qu’à l’époque, Nolan avait enchaîné Batman Begins, blockbuster braillard et explosif, et Le Prestige, petit film théorique qui fonctionnait quasiment comme un antidote. Derrière son suspense sur les coulisses de la prestidigitation, se cachait une réflexion sur la perversité de l’illusion spectaculaire. Mais Le Prestige était aussi un film de mise à nu, et en orchestrant la rivalité de deux magiciens dans le Londres du début du XXe siècle, le cinéaste semblait chercher sa place : était-il comme Angier (Hugh Jackman) un frimeur flamboyant (on agite la caméra, on cut vite pour huiler le tour de passe-passe) ou bien à l’instar de Borden (Christian Bale) un génie besogneux ? Et Miller ? Est-il comme Alithea, un scientifique épris de raison et de logique ou bien comme son Djinn, un pur bonimenteur ?
Notre critique de Trois mille ans à t'attendreMad Max : Au-delà du dôme du tonnerre (George Miller, 1985)
Mad Max, c’était l'énergie de l’apocalypse. Mad Max 2 : Le Défi, la chevauchée fantastique et la pure ivresse du rythme. Mad Max 3, le mal-aimé, c'est la grande désolation mais surtout une réflexion sur la puissance du mythe. Ici, le désert semble infini, l’Interceptor n’apparaît même plus à l’écran et Max devient une silhouette abstraite et messianique (cheveux longs, toge en lambeaux…) qui perd jusqu’à son état civil (les gamins l’appellent Captain Walker). Max Rockatansky n’existe plus qu’à travers le récit qu’en feront les enfants, manière de rappeler, comme dans Trois Mille ans à t’attendre, qu’au fond tout son cinéma ne tend que vers ça : déconstruire la figure du héros, interroger la puissance de la parole et célébrer le rôle de la fiction dans nos vies. Que ce soit à travers l’odyssée d’un guerrier du bitume ou d’un génie de la bouteille.
100 ans de cinéma australien – 40 000 ans de rêve (George Miller, 1997)
Un autre Miller. Après le mal-aimé Mad Max 3, le méconnu 100 ans de cinéma australien. L’effet de rime entre le titre original de ce documentaire et celui de Trois mille ans à t’attendre ne peut pas être un hasard : 40 000 years of dreaming / Three thousand years of longing. A chaque fois, Miller part d’un point précis du temps et de l’espace (la célébration des cent ans du cinéma, la rencontre d’une prof et d’un génie dans l’Istanbul contemporain) pour plonger dans une histoire millénaire, presque immémoriale, et tracer des ponts entre les mythes d’hier et d’aujourd’hui. Dans ses 40 000 ans de rêve, Miller, face caméra, dans la position du maître de conférence en narratologie et mythologies comparées, débordait la stricte histoire du cinéma pour établir des parallèles entre le langage de la musique et celui du septième art, entre la tradition du récit chez les aborigènes et la réception de Max Mad dans le monde… Comme dans Trois mille ans à t’attendre, la traité théorique virait vite au kaléidoscope hallucinatoire, ambitionnant de souligner l’interconnexion spirituelle entre chaque être humain.
Rencontre avec George MillerBandits, bandits… (Terry Gilliam, 1981)
Il fallait bien un film de voyage dans le temps confiné – ce qui pourrait d’ailleurs être un genre en soi (depuis Je t’aime, je t’aime à L’Histoire sans fin). Mais il fallait surtout un film de Terry Gilliam pour rappeler que derrière son concept, Trois mille ans à t’attendre est aussi une fantaisie baroque, excessive et même foutraque. Honneur au plus cintré des cinéastes, donc : Gilliam. Terry est encore un Python quand il tourne cette histoire de nains voleurs d’une « carte du temps » qui embarquent le jeune Kevin vers l’époque de Napoléon, de Robin des bois ou des Atrides (Sean Connery fantastique en Agamemnon). Manifeste pétaradant du réalisateur, qui tournera son pendant cauchemar (Brazil) trois ans plus tard, Bandits Bandits est une fantasmagorie kitsch. Le voyage dans le temps a rarement été aussi rigolo et sans ambiguïté qu’ici : on saute dans des portails, on s’amuse dans des univers chatoyants et on repart comme on est venu, littéralement vers de nouvelles aventures.
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