Tous les jours, le point à chaud en direct du 76e festival de Cannes.
Le film du jour : Les Filles d’Olfa
Les Filles d'Olfa a conclu une journée cannoise mémorable, entamée avec la projection du magnifique nouveau Nuri Bilge Ceylan. Quelque part entre la fiction, le docu et le making-of, le film de Kaouther Ben Hania (La Belle et la Meute) invente une forme hybride, pour raconter le destin d'une mère tunisienne et de ses quatre filles. Deux d'entre elles ne sont plus là pour parler face caméra (le film prend son temps avant de révéler pourquoi), et des actrices viennent remplacer ces disparues. Ensemble, les vraies filles d’Olfa, les comédiennes qui jouent leurs soeurs, et Olfa elle-même, reviennent sur l’histoire de cette famille dans un va et vient permanent entre la fiction documentaire et sa fabrication. Grâce à ce dispositif assez fou, Kaouther Ben Hania détaille le rapport de ces femmes à leur corps, à leur féminité, aux tabous de la société tunisienne, et compose une sorte de fresque en huis clos sur l'histoire immédiate de la Tunisie qui, au-delà de sa puissance théorique, finit par bouleverser.
La trahison du jour : Jonathan Glazer avec The Zone of Interest
Avec Under The skin, Glazer avait pris d’énormes libertés par rapport au livre original de Michael Faber, repensant entièrement son personnage d’alien pour en faire une pure création cinématique. Il récidive avec le livre de Martin Amis, la Zone d’intérêt. Le roman décrivait le quotidien du camp d’Auschwitz à travers une farce outrancière qui alternait trois points de vue différents. Celui de Paul Doll, commandant du camp, bouffon libidineux et "vieux pochetron" qui tente de sauver son couple. Face à lui, l’officier Golo Thomsen, tout aussi obsédé du cul qui a justement décidé de mettre la femme du commandant dans son lit. Enfin, l’écrivain britannique suivait aussi le "Sonder" Szmul, un Juif contraint d’assister les tortionnaires pour évacuer les cadavres des chambres à gaz.
Rien de tout cela dans le film qui choisit de ne suivre que le quotidien du commandant et de sa femme, vivant heureux en ménage à l’ombre du camp. Oubliez le lupanar, l’intrigue sentimentalo-comique et le drame existentiel du sonder. A travers des vignettes bucoliques ou parfaitement insignifiantes, à coup d’infrabasse tétanisante et d’écran noir autoritaires, Glazer interroge les frontières de l’humanité et réfléchit à la représentation du Mal. Une vraie trahison donc, mais pour un même résultat. Dans les deux cas, livre et film, les échos du camps laissent de marbre et on s’ennuie ferme.
La scène du jour : la fosse septique dans Vincent doit mourir
Du jour au lendemain, tout le monde veut tuer Vincent (Karim Leklou). Comme ça, pour rien, un simple regard de la part de ce graphiste sans histoires peut déclencher la folie furieuse des gens autour de lui, qui vont subitement avoir envie de l'expédier ad patres. Du pur cinéma de genre (c'est un compliment), formidablement incarné (le duo Leklou et Vimala Pons), qui ne cherche jamais à intellectualiser son propos sur la violence. Un film lancé à 100 à l'heure, quelque part entre le survival, le thriller et la comédie, et dont le traitement n'est pas sans rappeler The Crazies de George Romero. Et au milieu du film de Stephan Castang, une scène formidablement dégueulasse de baston dans une fosse septique, où le personnage de Leklou se fait agresser par un facteur et se débat (entre deux vomissements) pour ne pas crever le nez dans les déjections. Crade, flippant et parfaitement réjouissant. Merci la Semaine de la critique.
La perf du jour : Mia McKenna-Bruce dans How to Have Sex
Trois lycéennes anglaises partent en vacances en Crète pour se mettre des cuites stratosphériques et jouer à celle qui "se tape le plus de mecs". Un peu épuisant dans sa première partie qui voudrait faire le portrait de la jeunesse (les teufs, l'alcool, les néons des clubs et les corps à moitié nus qui se reniflent), le film prend un tout autre tournant à mi-chemin pour s'intéresser au consentement. How to Have Sex n'en devient pas subitement génial pour autant, mais la caméra n'a d'yeux que pour Mia McKenna-Bruce, 25 ans, quasi inconnue au bataillon. Sa performance démente et sa capacité à passer en une seconde de la tristesse profonde à la joie absolue lui donnent des airs de Florence Pugh dans Midsommar (les deux actrices, qui n'ont pourtant absolument pas le même visage, se ressemblent étrangement sur certains plans). Rien que pour ça, le premier long de Molly Manning Walker vaut le détour.
La neige du jour : Les Herbes sèches
Il y avait deux chefs-d’oeuvre en compète aujourd’hui. Les Filles d’Olfa et Les Herbes sèches. Ici, tout est blanc. A perte de vue. Un bus traverse l’écran et s’arrête au milieu du cadre. Un homme en descend et marche vers la caméra. Difficilement parce que la neige recouvre tout. Dès les premières images, on reconnaît le cinéma de Nuri Bilge Ceylan - la puissance plastique, le cadrage juste, les dialogues qui tuent et ces personnages haïssables… Et puis, la neige. La vraie. C’est l’un des éléments récurrents du cinéma de ce formaliste surdoué et tout son dernier film en est recouvert. On voit les flocons tomber à travers les vitres, on sent les personnages peiner à avancer sur les chemins enneigés ou les pare-brise se recouvrir d’un duvet immaculé… La mise en scène n'est pas qu’au service des personnages, elle est aussi au service du temps : attentive, fixe, entêtée, elle observe la neige tomber, sa puissance graphique et, surtout, son pouvoir révélateur. C’est elle qui force les êtres à se détacher d’un monde auquel elle confère une beauté uniforme et trompeuse.
L’interview du jour : Paul Kircher (Le Règne animal)
Quelques mois après Le Lycéen de Christophe Honoré qui lui a valu une nomination au César de la révélation, le fils des comédiens Irène Jacob et Jérôme Kircher tient (avec Romain Duris qui incarne son père) le rôle central du Règne animal de Thomas Cailley (Les Combattants) qui a reçu un accueil enthousiaste en ouverture de la section Un Certain Regard. Celui d’un jeune homme directement confronté à une vague de mutations transformant peu à peu certains humains en animaux. Une composition très physique virtuose qui confirme qu’en deux films seulement, il s’impose comme l’un des plus solides espoirs du cinéma français.
Ce samedi à Cannes
Grosse journée cannoise avec évidemment un film absolument immanquable : la projection du tant attendu Killers of the Flower Moon de Martin Scorsese (avec Leonardo DiCaprio), qui ne sortira qu'en octobre dans les salles. Pas en compétition (Scorsese aurait refusé) mais un sacré morceau quand même. Côté Quinzaine des cinéastes, il faudra jeter un œil à Riddle of Fire et Creatura, alors qu'à la Semaine de la critique Il Pleut Dans La Maison et Le Ravissement feront l'événement. L'habitué de la Croisette Kleber Mendonça Filho aura également droit à une Séance spéciale pour son Portraits Fantômes. Et pour terminer la journée, un petit May December de Todd Haynes nous attend en compétition.
Killers of the Flower Moon : tout ce qu'on sait sur le nouveau Martin Scorsese
Commentaires