Le réalisateur nous racontait les coulisses de Gatsby le Magnifique, peu de temps avant sa projection à Cannes, en mai 2013.
Première : Baz, prêt pour l’ouverture ?
Baz Luhrmann : Ah… écoute… Là, je suis lessivé. Usé, fatigué. Je suis content de te parler, mais vraiment, je ne pense pas du tout à Cannes.
Pourquoi ? Pas envie de faire la fête ? Trop de pression ?
Non, c’est pas ça. Tu sais Gaël, un film que tu livres, c’est comme un bébé qui naît. Et que tu dois laisser vivre sa vie. Tu l’as gardé en toi pendant des années et puis d’un seul coup tu le laisses partir… Dans ces moments-là, j’ai envie de tout laisser tomber. C’est comme… c’est comme un jetlag cinéma, ou plutôt un jetlag cinéma postnatal. Tu vois ce que je veux dire ?
A peu près. A chaque fois ?
Oui ! En général d’ailleurs, je fuis. Je pars en voyage, pour oublier mon film. Il se trouve que la dernière fois que j’ai fait un voyage comme ça, c’était dans le Transsibérien. J’appelle ça mes voyages débriefing ! J’avais emmené deux bouteilles de vin rouge australien et quelques livres audios. Dont Gatsby Le Magnifique de Fitzgerald. Et honnêtement, je me souviens avoir appuyé sur le bouton play à quatre heure du mat’. Je n’ai pas pu m’arrêter. J’ai écouté ce récit d’une traite en buvant mon vin. A la fin, je savais qu’il fallait faire un film. Qu’il y avait un film.
Pourquoi ? Pour refaire un Roméo + Juliette dans les années 20 ?
L’universalité de l’histoire me fascinait. Evidemment, j’ai tout de suite été fasciné par le monde de Fitzg… Mais l’arc et les personnages de l’histoire m’obsédaient. Fitzgerald était un grand fan de Joseph Conrad et Gatsby est un peu son Au Cœur des ténèbres – Au cœur des deux romans, il y a cette idée de personnages mystérieux, dont tout le monde parle et qui règnent comme des spectres sur un monde étrange. Gatsby et Kurtz, c’est la même chose ! Eux en plus ne sortent pas transformés. Alors que Nick Carraway, celui qui raconte l’histoire, change à travers le récit. Son expérience le bouleverse. C’était ça l’essentiel pour moi.
J’ai quand même l’impression que ce qui vous attirait, c’était l’univers.
Bon… je ne vais pas te dire le contraire. La recréation du New York des 20’s m’a excité. Je voulais casser la distance entre notre univers et celui de Fitzgerald. Je voulais rendre ça contemporain. Fitzg’ n’avait pas 30 ans quand il a écrit Gatsby. Il a bourré son roman de trucs modernes : le jazz, les bagnoles, les tenues. C’est pour ça que je devais trouver les parallèles. D’où Jay Z dont la musique et l’esprit m’ont permis de trouver les échos de Fitzgerald
Et la 3D aussi, non ?Ca c’est différent. Fitzgerald était un gros fan de technologie. Il aimait le cinéma. Et je voulais rendre hommage à ce côté pionnier. Mais je n’utilise pas la 3D comme Jim Cameron. Tu sais, c’est en découvrant Le crime était presque parfait que j’ai compris ce que je pouvais faire avec le relief. Ce film m’a tué. Pas le style de Hitchcock, mais voir Grace Kelly, cette icône, bouger en 3D, jouer en 3D… Avoir la sensation d’être à ses côtés… Pfffffff.
Moins Avatar que Pina de Wenders si je vous suis.
Gaël, c’est exactement ça ! Ce fut ma principale inspiration et je l’ai montré à tous mes collaborateurs. Je voulais utiliser le relief dans une optique « artistique », poétique. La scène du Sacre dans Pina, la manière dont les danseurs occupent l’espace, se déplacent, imposent leur énergie et dictent la dynamique du récit, c’est comme ça que je voulais mettre en scène Gatsby. Que ce ne soit pas les mouvements de caméra qui créent l’énergie, mais les acteurs. Comme ce que je fais au théâtre, où j’utilise les acteurs pour dire aux spectateurs où regarder. Avec la 3D, c’est pareil au fond. Ce sont les comédiens qui dictaient la mise en scène.
J’imagine que, dans ce cadre, Leonardo diCaprio était une évidence ?
Plus que ça ! Sans lui, je ne faisais pas le film. Il a la beauté du personnage, sa densité, mais surtout, il a son opacité et son mystère. Mon Gatsby devait être incarné et ambigu. Et seul Leo, parmi les acteurs d'aujourd’hui, pouvait m’apporter ça. Sans lui, je ne l’aurais pas fait. Il est né pour jouer Gatsby. C’est aussi simple que ça.
On a aussi parlé de Ben Affleck à un moment…
Pas pour Gatsby, mais pour Tom, le plus beau rôle écrit par Fitzgerald. Mais c’est arrivé au moment où Ben devait faire un choix. Continuer sa carrière d’acteur génial ou décider de définitivement se concentrer sur ses propres films. Quand il a choisi de faire son film, même si j'étais extrêmement déçu, je ne pouvais pas lui en vouloir. Au fond de moi, je savais qu’il avait fait le bon choix. C’est un grand réalisateur, il a la passion et l’énergie pour. Je suis fier qu’il ait décroché l’Oscar. Mais dès que j’ai vu Joel Edgerton, dès qu’il a ouvert la bouche, je me suis tourné vers mon casting director en disant : "voilà mon Tom Buchanan". Il a quitté l’audition, je suis sorti de la salle, et je lui ai envoyé un exemplaire de Gatsby.
C’est marrant, vous n’avez rien dit sur les actrices… De votre part, c’est étonnant.
Ah ah ah ! Je vais te dire une seule chose : je ne cherchais pas ma Daisy Buchanan, je cherchais ma Scarlett O’Hara. C’est une héroïne déterminée et en même temps dépassée par l’époque et le maelstrom de ses sentiments et du contexte. Carey Mulligan est une TRES grande actrice. J’ai auditionné les comédiennes les plus talentueuses, les plus douées de leur génération. Et chacune amenait son interprétation. Mais quand j’ai appelé Carey pour lui dire : 'Hello, Daisy Buchanan’, j’étais surexcité. Ca te va ?
Parfait. Bon, je ne voudrais pas avoir l’air d’insister, mais Cannes c’était quand même évident pour ce film.
C’est un cercle, un cercle magique Gaël ! Je suis né à Cannes. C’est là que j’ai été découvert. Quand Strictly Ballroom est sorti en Australie, il fut présenté dans un seul cinéma. Je pensais que j’étais mort. Je suis parti sur la cote avec ma femme et un ami en me demandant ce que j’allais faire. Je suis dans un camping quand le téléphone sonne : « Bonjour, ici Pierre Rissient. Je viens de voir Ballroom Dancing. Je veux vous proposer une projection à 12h00, mais vous devez me répondre sous 24h00 parce que les inscriptions pour Cannes sont bientôt terminées ». Je regarde mes amis. Cannes ? Je crois rêver. Je dis oui et je me retrouve sur la côte d’Azur quelques mois plus tard ! Le film est présenté et quand la foule commence sa standing ovation, le type de la sécurité me regarde et me dit : « vu les applaudissements, je peux vous dire que votre vie ne sera plus la même ». Il avait raison. Quand Thierry (Fremeaux NDLR) a pris Moulin Rouge en 2001, j’ai eu le droit à la plus belle soirée de ma vie - et de Cannes. C’était extraordinaire. Revenir avec Gatsby, à Cannes, est une chance inouie. Parce que, l’ironie de l’histoire Gaël, c’est que F. Scott Fitzgerald a écrit son roman dans un village situé à 30 minutes de Cannes pendant que sa femme Zelda avait une liaison avec un soldat sur la plage du Majestic. Ce film était prédestiné. Il devait se faire ! et tout devait finir là. A cet endroit.
Interview Gaël Golhen
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