Audrey Lamy Noémie Lvovsky Les Invisibles
Apollo Films

Les deux actrices sont excellentes dans Les Invisibles.

Après avoir exploré l’univers de la grande distribution (Discount, 2015) et celui de la médecine du travail (Carole Matthieu, 2016), Louis-Julien Petit pose sa caméra dans un centre d’accueil pour femmes sans domicile fixe. Les Invisibles, sorti début 2019 au cinéma et programmé ce dimanche sur France 2, met en scène des travailleuses sociales mettant tout en œuvre pour réinsérer dans le monde professionnel ces femmes marginalisées. Audrey Lamy et Noémie Lvovsky nous parlent de cette comédie sociale qui montre le hors-champs de la société.

Vous êtes toutes les deux plutôt habituées aux comédies. Qu’est-ce qui vous a plu dans cette histoire plus sombre ?

Audrey : J’ai eu un gros coup de cœur pour Louis-Julien Petit et son scénario ! Il a une manière d’aborder l’humain, de proposer des solutions sans imposer quoi que ce soit, d’ouvrir des portes en laissant à chacun la possibilité de les enfoncer ou non, que je trouve vraiment intelligente. L’humour et l’autodérision, c’est le meilleur moyen pour toucher un large public et faire passer un message.

Noémie : J’avais adoré Discount, l’avant-dernier film de Louis-Julien Petit. J’ai beaucoup aimé le scénario des Invisibles et j’ai eu envie d’entrer dans son monde.

Un monde moins léger que ce que la bande-annonce dévoile. La juste mesure entre comédie et drame est-elle difficile à trouver ?

Audrey : Le réalisateur n’a pas injecté de la comédie dans cette situation pour faire rire les spectateurs, c’est la tonalité qu’il y a dans ces centres qui est drôle - même si certaines de ces femmes ont des parcours hyper douloureux. On ne rit pas des femmes que l’on voit, on rit avec elles. La situation du personnage de Chantal n’a rien de drôle - elle a tué son mari parce qu’il la battait -, mais elle devient drôle parce que Chantal ne peut s’empêcher de le raconter à tout le monde, expliquant qu’elle a appris à travailler en prison après avoir butté son mari - alors qu’elle cherche du travail ! Adolpha, qui interprète Chantal, le dit sans détour : la vie est un combat et il vaut mieux en rire.

Noémie : Ces femmes rient aussi. Elles ont envie de rire et de faire rire les copines. Tous les jours sur le plateau il se passait des choses très drôles, et ce malgré les conditions pas toujours très confortables de tournage. Je me souviens d’un jour où une comédienne nous a expliqué comment faire "l’hélicoptère". Elle était très surprise que je ne connaisse pas cette position sexuelle à mon âge ! C’était à pleurer de rire !

Comment avez-vous abordé cet univers précaire ?

Audrey : Nous sommes allées dans un centre d’accueil pour nous documenter. Nous appréhendions de rencontrer ces femmes car nous ne savions pas comment nous habiller, comment leur poser des questions, ni jusqu’où nous pouvions aller. Louis-Julien nous a rassurées en nous disant qu’une fois passée la porte du centre, nous nous rendrions tout de suite compte que l’humour fait partie intégrante de leur quotidien. L’humour est comme un bouclier pour ces femmes, sans lui elles s’écroulent, c’est la seule chose qui leur reste.

 

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Les comédiennes du film ont donc vraiment connu cette situation de précarité ?

Audrey : Adolpha, qui interprète le personnage de Chantal, a réellement tué son mari parce qu’il la battait et qu’elle a voulu se défendre.

Noémie : Même si elles sont maintenant "stabilisées" comme on dit dans le milieu, ces femmes ont en effet connu la grande précarité. Le cinéma ne montre que très rarement leurs visages et leurs corps, parce qu’on considère qu’elles sont trop grosses, que leurs dents ne sont pas super, parce qu’elles ont dépassé la trentaine et que leur peau n’est pas niquel … Louis-Julien Petit, lui, regarde ces femmes comme s’il filmait des stars de cinéma ! Il leur laisse toute la place et je trouve ça merveilleux.

Audrey : Il s’intéresse à des femmes qui ne rentrent pas dans les cases. Ça fait du bien de voir de nouvelles têtes, des têtes qu’on n’a pas l’habitude de voir ! Les comédiennes avec lesquelles nous avons travaillé sont hallucinantes, elles sont démentes dans leur jeu et leur personnalité, dans ce qu’elles dégagent, ce qu’elles sont et ce qu’elles ont apporté au film.

À tel point qu’elles éclipsent les rares personnages masculins du film.

Audrey : Ils ne sont pas présents tout le temps, mais ils ont de super rôles et ils font avancer l’histoire. Louis-Julien dit souvent que, dans ce film, les hommes ont le rôle de première dame : ils se mettent à l’écart pour faire briller l’autre. Ce qui est beau, c’est que tous les personnages - même les plus petits - existent et arrivent à trouver leur place dans ce film. Devant la caméra de Louis-Julien, tous les personnages, même s’ils sont égratignés, restent lumineux.


Après Discount, Les Invisibles : Louis-Julien Petit impose un cinéma citoyen [critique]