Le japonais Yasujiro Ozu (1903 – 1963) reste pour beaucoup de cinéphiles le plus grand d’entre tous. Il est temps de vous faire votre propre opinion, grâce à cette rétrospective gratuite.
Lors du dernier Festival Lumière de Lyon, nous découvrions des films rares du japonais Yasujirō Ozu : Récit d’un propriétaire, Les sœurs Munakata... Le constat était sans appel : la puissance de ce cinéma-là continue de nous sauter au visage telle une apparition sans cesse renouvelée. Apparition quasi mystique où la pureté et la grâce de la mise en scène ne laissent la place à aucun trop plein, aucune faute de goût. Ce qui fascine, en effet, chez ce cinéaste du huis-clos, dont on fête cette année - au choix les soixante ans de sa mort ou les cent vingt ans de sa naissance – est cette certitude qu'ici, le cinéma s’exprime dans sa plus parfaite plénitude. Encore que, sous leurs aspects feutrés, pudiques, voire légers, il transpire des films d’Ozu, la tension sourde d’une société japonaise en perpétuel sursis. Et il ne faudrait pas se laisser attendrir (endormir ?) par les titres de ses films dont la poésie imagée cache une rudesse secrète : Fleurs d’équinoxe, Printemps tardif, Fin d’automne, Bonjour, ou encore Le goût du saké...
Transformations
Ozu est le cinéaste de la famille japonaise par excellence. Celle qui, marquée par les fracas de la Seconde Guerre Mondiale, a dû apprendre à composer avec l’occupant américain, accepter le déclin d’un monde ancien et l’apparition d’un nouveau... Tous les films racontent la transformation d’une culture que certains cherchent à préserver à tout prix, là où d’autres préfèrent s’aventurer vers l’inconnu... Ozu ne tranche pas. Il cherche la vérité derrière chacun des protagonistes qui peuplent cette œuvre d’une cohérence intellectuelle sans faille.
Précision du style
Les films d’Ozu se caractérisent par leur précision stylistique immuable : plan fixe, géométrie stricte, objectif à hauteur de tatami, horizon proche... Les protagonistes filmés frontalement semblent regarder le spectateur dans le blanc des yeux et l’obliger « à prendre parti. », ainsi que le formule le court et très instructif documentaire qui accompagne la sélection de dix longs métrages, proposée par Arte.tv : Yasujiro Ozu, le cinéaste du bonheur. Ce portrait, à l’analyse aussi fine que limpide, s’ouvre par cette magnifique saillie du cinéaste : « Le champ de la caméra n’est qu’une petite fenêtre sur le monde. L’amour n’est qu’une petite fenêtre sur la vie. Il faut réfléchir deux fois avant d’appuyer sur le déclencheur. » Voici résumé la morale d’un cinéaste qui a toujours préféré la retenue et l’épure à une exaltation vulgaire des sentiments.
Fracture entre les générations
Dans la riche sélection que propose Arte.tv en copies restaurées, ne manquez pas le classique Voyage à Tokyo (1953), récit d’un couple âgé qui quitte sa province pour rendre visite à leurs enfants à la capitale. Plus qu’une fracture entre générations qu’il faudrait réparer, Ozu filme ici un décalage qui bloque le surgissement des sentiments. On préfère vous prévenir, l’épilogue, déchire le cœur.
Dans un registre, plus malicieux, la comédie Bonjour (1959), montre comment l’irruption des nouveaux objets de consommation (télévisions, appareils électroménagers...) bouleverse la vie domestique d’une classe moyenne partagée entre fascination et peur panique de voir s’étioler leurs repères.
Outre cette rétrospective sur Arte.TV, Ozu bénéficie actuellement d’une rétrospective en salles qui comprend : Femmes et voyous, Il était un père, Récit d’un propriétaire et Dernier caprice... L’éditeur Carlotta propose également un ouvrage biographique : Ozu, hors-champ de Térui Yasuo.
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