Chaque jour, retour sur trois temps forts de l’édition 2020 du festival du film francophone
Le film : L’Enfant rêvé de Raphaël Jacoulot
Avec Barrage, Avant l’aube et Coup de chaud, Raphaël Jacoulot a montré sa capacité à développer une tension à couper au couteau au fil de récits ancrés dans la réalité quotidienne. Elle est de nouveau à l’œuvre avec l’histoire de ce couple, François et Patricia, qui essaie en vain d’avoir en enfant. Un couple soudé jusqu’au jour où François croise la route de Patricia, une femme mariée avec qui il entame une liaison passionnelle secrète qui va donner naissance à cet enfant qu’il désire tant. Et le mettre alors devant un choix cornélien : tout dire à sa femme sous peine sinon que Patricia dise à son mari que cet enfant est le sien. Jacoulot raconte le désir de paternité au masculin avec une acuité remarquable à travers ce personnage de François, pourtant écrasé par le poids de sa propre famille qui l’a poussé à reprendre malgré lui la scierie familiale, dont sa femme se retrouve meilleure gestionnaire que lui. Le cinéaste décrit aussi bien la joie infinie qu’il ressent devant cette grossesse que son incapacité mortifère depuis toujours à formuler ce qu’il désire qui va l’enfermer dans un piège tragique. Dans ce rôle, Jalil Lespert livre une composition saisissante, le corps lourd, ployant sous tous les renoncements qu’il a dû accepter et dont le visage s’illumine dès qu’il est question de bébé. Et il est majestueusement accompagné par Louise Bourgoin, impressionnante dans la palette de sentiments que son personnage traverse et Mélanie Doutey, dont le talent n’avait pas été aussi bien mis en lumière depuis des lustres. Alors même si la conclusion de ce récit paraît bâclée, l’essentiel est ailleurs. Dans le chemin pour y parvenir. Il vaut largement le voyage. (en salles le 7 octobre)
L’actrice : Diane Rouxel dans La Terre des hommes
Le monde agricole inspire décidément le cinéma français à travers des œuvres qui, sur ce socle commun, développe des récits extrêmement différents. Après Petit paysan, Au nom de la terre et Revenir, Naël Marandin (La Marcheuse) met ici en scène un jeune couple d’agriculteurs – Constance et Bruno (Diane Rouxel et Finnegan Oldfield) - tentant de reprendre la ferme du père de Constance (Olivier Gourmet) avec un projet novateur et écolo mais qui ne peut prendre forme qu’avec le soutien financier des puissants syndicats agricoles. Un soutien que Constance pense décrocher auprès de Sylvain (Jalil Lespert), très influent dans la décision et en apparence emballé par le projet. Sauf que, pour se montrer gentil avec elle, Sylvain va lui demander de l’être avec lui… Comme Slalom présenté ici même voilà quelques jours, La Terre des hommes parle de viol et d’emprise. Et comme Slalom, il ne s’agit pas ici d’un simple film à sujet pour feu « Les Dossiers de l’écran » mais d’un film qui transcende son sujet à travers un personnage féminin fort, non dénué d’ambiguïtés et jamais réduite à sa fonction de victime. Dans ce rôle, Diane Rouxel livre une composition d’une intensité jamais prise en défaut, tant dans les rires heureux d’une possible nouvelle vie à construire que dans les larmes de rage et d’humiliation. Elle est à l’image du film. Jamais scolaire ou appliquée. Toujours libre et surprenante (en salles en 2021)
L’acteur : Alex Lutz dans 5ème set
Hormis son apparition dans Convoi exceptionnel de Blier, on avait laissé, côté cinéma, Alex Lutz en 2019 sur la scène de Pleyel recevant son César du meilleur acteur pour Guy qu’il avait réalisé. Depuis, il a signé un nouveau seul en scène, absolument remarquable, récompensé d’un Molière il y a quelques semaines. Et chez Lutz, sur une scène de théâtre comme devant une caméra, une règle semble de mise : pas question de se reposer sur ses lauriers ou de surfer sur une vague. Son spectacle offrait des moments de rupture hallucinants, jouait avec l’attention des spectateurs là où d’autres en auraient profité pour y glisser en douce du Catherine et Liliane qui viennent de déserter le petit écran. Et au cinéma, le voilà dans un rôle dans lequel on ne l’aurait jamais spontanément imaginé. Un joueur de tennis, un champion qui ne s’est jamais remis d’un match décisif perdu tout jeune à Roland- Garros et n’a jamais confirmé les immenses espoirs placés en lui à l’époque. Désormais il a 37 ans, donc a priori au bout de sa carrière. Mais a du mal avec l’idée de raccrocher et ce encore plus quand, passant par les qualifications, il recommence à gagner à Roland- Garros. 5ème set est un film passionnant sur ces carrières si courtes des grands sportifs et leur rapport avec leur entourage (une femme tenniswoman qui a sacrifié sa carrière en ayant leur enfant et une mère castratrice en rage contre l’incapacité de son fils à se transcender, magnifiquement campées par Ana Girardot et Kristin Scott- Thomas). Mais tout cela s’effondrerait (notamment les 20 dernières minutes haletantes) si l’on ne croyait pas en Lutz champion de tennis. Car on ne verrait plus que ça. Mais ici, le comédien réussit une double performance : émotionnelle (la manière dont, intérieurement, il traduit les espoirs retrouvés de son personnage alors qu’il les croyait perdus à jamais, les humiliations qu’il subit comme la façon dont les regards des autres de nouveau posés sur lui le grisent) et physiquement (dans les échanges superbement filmés par Quentin Reynaud, dont on voit qu’il maîtrise son sujet ). En trois mots : Jeu, set et match Lutz ! (en salles le 2 décembre)
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