DR

 C’était l’un des événements de ce festival de Cannes 2012. Le retour de Leos Carax, l’enfant terrible du cinéma français, l’agent provocateur qu’on pensait définitivement retiré du monde. Holy Motors (l’histoire d’un type qui se glisse de corps en corps) est sa résurrection. Mais c’est aussi, pour certains, un véritable chemin de croix : si une partie de la rédaction a adoré cette histoire de transsubstantiation méta, une autre est (beaucoup plus) réservée. Débat à chaudPour Clarifions une chose d’entrée : je ne suis pas une groupie de Leos Carax. Son cinéma me parle autant qu’un enregistrement de Schoenberg ou qu’une fiche-cuisine du magazine Elle. En toute objectivité, donc, je peux affirmer que Holy Motors est son meilleur film. Délesté du poids encombrant de la Nouvelle Vague (l’ombre de Godard plane dans le prologue, mais c’est tout), provocateur potache (l’épisode « burqa » n’est pas forcément adroit mais il est drôle),  le cinéaste « maudit » signe un hommage, non pas au cinéma comme il a été dit, mais aux acteurs. Dans Holy Motors, Denis Lavant incarne ainsi onze personnages qui rigolent, pleurent, baisent, tuent, meurent, au gré de sketches passant du burlesque à la tragédie, du romantisme au jeu vidéo. A coup de travestissements physiques et vocaux, d’incarnations osées, l’acteur fétiche de Carax étale toute la panoplie du comédien, être d’exception, fragile et capricieux, dont la particularité est son immortalité. Quand Edith Scob, actrice septuagénaire au timbre mémorable, revêt le masque des Yeux sans visage, elle a ainsi pour toujours 20 ans. Christophe NarbonneContreLéos Carax se réveille, se frotte les yeux, allume une clope. Il a dormi longtemps, trop longtemps, et doit tâtonner un bon moment dans l’obscurité avant de trouver, enfin, la porte qui le (ra)mènera vers la salle de cinéma… Théorique, narcissique, pompeusement méta, l’intro de Holy Motors a le mérite de préciser à l’attention de ceux que ça intéresse qu’on n’a pas tant affaire ici à un film (le très attendu « nouveau Carax », son premier long depuis Pola X il y a 13 ans) qu’à une lettre d’excuses envoyé par l’ex-enfant terrible du cinéma français à son fan-club. Une lettre triste, terriblement mélancolique, où l’on reconnaîtrait à peine son écriture, et où il se désolerait de son incapacité de filmer. Denis Lavant, l’alter-ego de toujours, y déambule de corps en corps, de sketchs en sketchs, rejoignant entre chacune de ses « stations » parisiennes l’habitacle de sa voiture, une limousine en forme de métaphore évidente d’un ciné-monde qui tourne en rond et flippe à l’idée de la panne sèche.  Pour donner corps à cette matière disparate, Carax additionne les aphorismes godardiens usés (« Avant, les caméras étaient plus lourdes que nos corps, aujourd’hui, elles sont plus petites que nos têtes »), les citations cinéphiles mortifères (Edith Scob mettant son masque des Yeux sans visage), les idées de casting chic et toc (Eva Mendes en burqua, Kylie Minogue qui chante comme une casserole), les références embarrassantes à l’actu (la tentative d’assassinat au Fouquets) et aux mutations des images (Lavant en « O.S. de la motion capture »). Holy Motors est morbide et profondément réac’, c’est son droit, c’est un autoportrait asphyxiant du cinéaste en colosse déchu (exactement comme le récent Twixt de Coppola), mais ce qu’on reproche surtout à ce lamento stérile, c’est d’utiliser pour critiquer le contemporain des armes usées depuis 25 ans. La « mort du cinéma », cette vieille antienne godardo-wendersienne 80’s, OK, si ça lui chante. Mais dit comme ça, aujourd’hui, avec ces mots-là, ce n’est pas seulement ringard : ça n’a juste aucun sens.Frédéric FoubertSuivez toute l'actu cannoise dans notre dossier spécial avec Orange Cinéday