Le Secret de la Licorne est une réussite.
On nous promettait la révolution Tintin. C'est ce qu'on a vu hier en avant-première. Retour sur un film étourdissant et radical.
Par François Grelet
Ça doit être une question de vitesse. Pourquoi rédiger un texte sur Les aventures de Tintin : le secret de la licorne, quelques heures à peine après la fin de la projo de presse, qui avait lieu ce matin dans un grand cinéma des Champs Elysées ? “Parce que c’est internet, coco, la course aux clics, les twittos sont déja sur le coup, allez, plus vite quoi, balance-la ta critique. 140 signes espace compris, hein”. Pourquoi est-ce aussi compliqué de rédiger un texte sur Le Secret de la licorne quelques heures à peine après la fin de la projo de presse, qui avait lieu ce matin dans un grand cinéma des Champs Elysées ? Là aussi parce que c’est allé un peu trop vite. Ils écrivaient quoi les twittos des 90’s quand ils se sont pris The Blade ou Time And Tide en pleine tronche ?
Balancée comme ça la comparaison peut paraître curieuse, n'empêche le déchaînement créatif ininterrompu et hystérique auquel on assiste durant les 107 minutes du Secret de la licorne, rappelle instantanément que si l’on a longtemps appelé Tsui Hark, “Le Spielberg Chinois”, l’analogie fonctionne désormais dans l’autre sens. Et depuis qu’il a entamé sa mue de cinéaste ouvertement radical (en gros à partir du fabuleux A.I.) Steven Spielberg n’avait jamais osé pousser le bouchon de l’expérimentation furieuse aussi loin.L’avantage des cinéastes biberonnés au classicisme, c’est que l’expérimental n’est jamais considéré chez eux comme une fin en soi, ou comme un vague écran de fumée chic, (oui, on pense ici très fort au dernier film de Nicolas Winding Refn), mais plutôt une manière élégante de paver la voie du cinéma de demain. S’engouffrant dans la brèche ouverte par James Cameron, Robert Zemeckis, les frères Wachowski, voire David Fincher, Spielberg s’empare de sa caméra virtuelle pour repenser de fond en comble les bases du storytelling à l’ancienne. Les plus beaux moments de son Tintin se situent par là, dans cette manière d’oser des transitions impossibles pour imprimer au récit un dynamisme pétaradant, de réinventer la rythmique binaire du montage alterné pour lui infuser plus de nuances (attention les yeux sur la séquence de flash-back), de penser chaque scène sous le seul angle du morceau bravoure et de mettre à mal l’idée reçue selon laquelle un film se doit de ménager son spectateur avec des moments de flottement, plus communément appelés « respirations ». La bonne blague. Alors ça va vite, très vite, trop vite pour qu’on ait vraiment le temps de tout goûter. Mais suffisamment pour qu’on ait l’envie que le tempo ne baisse jamais.
Restons calme. Du post-cinéma, du sur-cinéma, oui, partout, tous le temps. Mais aussi, lâchons les gros mots, un vrai film d’auteur. Tout est là, à peu près en ordre : la furia destructrice de 1941, les poussées de fièvre fulgurantes du Temple Maudit, les vignettes expressionnistes du Monde Perdu, un générique à la Arrête-moi si tu peux, un clin d’œil tordant aux Dents de la mer… On tombera aussi, inévitablement, sur une refonte - admirable - de Hook, dès lors que l’aventure mettra le cap sur le versant swashbuckler (ou film de pirates). On prend ça pour une piste : comme s’il fallait se venger d’un échec toujours pas digéré, comme si l’on nous glissait en douce que le cinéma d’hier était trop restrictif pour imprimer la toute-puissance de l’imaginaire spielbergien. L’intuition à chaud : on n’est pas forcément sûr de tenir ici le chef d’œuvre de son auteur, mais on se retrouve clairement face à l’expression la plus limpide, la plus évidente, de son cinéma. Parce que la plus libre, jusqu’à présent.
Reste le travail d’adaptation. Là encore, on ne voudrait surtout pas faire en trop, mais sachez qu’il laisse franchement bouche bée, faisant s’entrechoquer trois albums clés de la mythologie avec une fluidité et une liberté de ton sidérantes. Seul hic, les Dupondt, étrangement sous-exploités, jamais très amusants, font un peu pâle figure à l’arrivée, tandis que le charisme phénoménal du Haddock d'Andy Serkis rafle absolument tous les suffrages (il laisse même poindre une étrange mélancolie post-gueule-de-bois le temps d’une scène ou deux). Là encore il faudra revoir le film, s’il se laisse un jour apprivoiser, pour jauger de la pertinence de ses choix dramatiques; saute tout de même yeux une aisance burlesque totale et son équilibre entre virtuosité de la mise en scène et incarnation totale des personnages.L’ironie là-dedans, c’est que ce triomphe de cinéma ultra-technologique, profondément pionnier, déboulera dans les salles au moment même où l’intelligentsia virtuelle (twittos et blogos) se repaît quasi quotidiennement de sa haine déraisonnée vis-à-vis de la 3D et/ou de la performance capture (voire le traitement honteux réservé aux derniers Zemeckis). En ce sens la réponse de Spielberg est cinglante. Même si il est probable qu’au fond il n’en ait jamais eu rien à foutre. Trop occupé à remodeler notre avenir, à repenser les outils du cinéma, à updater sa grammaire. Cet homme va vite, très vite, trop vite pour le commun des mortels. Qui pourra le suivre désormais ?
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