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Quand un réalisateur de thriller passe au documentaire Disney Nature. Rencontre avec le réalisateur chinois de Nés en Chine.

On a un moment pensé que Lu Chuan serait l’héritier chinois de Spielberg. Et tout ça en deux films. Un polar viscéral et abstrait sur le toit du monde (l’époustouflant Kekexili) et une plongée historique au cœur du sac de Nankin, au milieu des bourreaux japonais, des collabos chinois et des victimes de la guerre (City of Life and Death)… Deux chefs-d’œuvre où le cinéaste traquait l’Humanité tout entière derrière les monceaux de sauvagerie. Et puis plus rien.

Jusqu’à ce que son nom apparaisse au détour d’un film Disney. Nés en Chine, nouveau Disney Nature. La panthère des neiges, le panda, le singe doré et les grues du japon, les quatre animaux magiques captés dans leur environnement, traqués par les caméras et les drones. C’est très beau (TRES), très cinégénique et la voix-off pédagogique fait vaillamment son office. Le message écolo est passé, les enfants sont contents, Mère Nature peut dormir sur ses deux oreilles… Et Lu Chuan ? Il y a quelques instants qui détonnent, des moments étrangement majestueux, comme des micro secousses sismisques. Des séquences qui confinent parfois à l’abstraction (les pandas que la caméra transforme en seigneur de la jungle ou le vol des grues qui devient une calligraphie céleste…). Une célébration de la vie ou ce qu’il en reste dans un environnement hostile, le danger qui rôde à chaque instant et que la caméra densifie (le duel entre la panthère et le yak dans un final tétanisant). Tout cela méritait bien quelques questions ou des éclaircissements…

On a du mal à croire que c’est le même réalisateur qui a signé Kekexili ou City of Life and Death et Nés en Chine…

Et pourtant, c’est le même. Peut-être plus âgé, plus mûr. Mais je vous rassure : j’aime toujours les films de genre, les films de guerre et le cinéma spectaculaire.

Critique de Kekexili 

Pourtant, Nés en Chine est assez différent de ce que vous avez fait jusqu’à présent

Je ne pense pas. En tout cas, je l’ai fait avec les mêmes convictions. Avec Nés en Chine, je voulais tenter une expérience particulière. Je voulais explorer la vérité de la vie et de l’humanité. C’est évidemment un film sur la Nature, sur l’environnement, mais c’est aussi un film sur les individus et sur la force des relations mères/enfants à travers les différents animaux observés. Ce film m’a permis de fouiller des thèmes qui m’obsèdent et surtout de vivre une expérience extraordinaire. Je suis allé dans des contrées sauvages, des endroits isolés, seuls ou avec une équipe très réduite. Et j’étais très très loin de l’industrie du cinéma.

Comment êtes-vous arrivé sur ce projet ?

En 2013, Tony To, un producteur chinois travaillant pour Disney, m’a confié que le studio voulait produire un film chinois avec des pandas, des léopards des neiges et des singes. Tony aimait mes films et voulait me proposer ce travail. J’avoue avoir été un peu surpris : je lui ai rappelé que je faisais des polars et des films historiques ; pas des documentaires. Mais il a insisté et a fini par me convaincre. J’ai passé un deal avec lui : j’écrirais un traitement. Si le traitement plaisait à Disney je faisais le film, sinon, je laissais tomber. Pas question de réécrire ou de commencer à faire des compromis…

Vous craigniez l’interventionnisme du studio ?

Oui ! Vous savez en Chine, beaucoup de studios occidentaux cherchent à prendre un acteur ou un réalisateur chinois pour des raisons financières. Je n’avais pas envie de tomber là-dedans.

A quoi ressemblait ce traitement que vous avez écrit ?

Il était très dramatique. J’évoquais la réincarnation - un sujet qui me passionne -, et la relation mère/enfant qui est au cœur du film. La structure se déployait sur 4 saisons, comme dans ce que vous avez vu…

Et ?

Et j’ai été le pitcher à Burbank devant Alan Horn et Alan Bergman. Et ils ont aimé. 

City of Life and Death - Bande-annonce VOST

Vous aviez vu d’autres Disney Nature ?

(pause) Tony To m’a posé la même question et j’ai menti. Je lui ai dit que, « évidemment » j’adorais les films Disney Nature. La vérité c’est que je n’en n’avais jamais vu un seul de ma vie…

Mais vous n’aviez pas peur de devoir adapter votre cinéma à un style Disney ?

Bonne question… En Chine, le réalisateur est roi. Jusqu’à présent, j’ai scénarisé, co-produit et réalisé mes propres films. J’étais le maître à bord. Ici, j’avais un producteur qui était très présent, Roy Conli. Parfois on avait des idées différentes et il fallait se battre. Mais c’était un conflit très créatif. On avait des meetings. Beaucoup de meetings. On échangeait beaucoup. Avec beaucoup de mails de synthèse ensuite… Bon, ça c’est la vraie différence : l’intense communication entre les partenaires. Mais tout ça est fait pour garantir la qualité des films. Je n’avais jamais eu de producteurs comme Roy ; mes précédents producteurs étaient des banquiers qui n’intervenaient jamais sur le script ou la mise en scène. Ce qui les intéressaient c’était la star ou l’argent. Au contraire, les partenaires que j’avais sur film me guidaient d’un point de vue artistique.

Mais pas de compromis ?

Aucun. Je peux dire que le film est strictement fidèle au message et aux idées que je voulais transmettre dès le début…

Et quel genre de consignes vous donnait-on ?

Je me souviens qu’au cours du montage, Alan Bergman me disait souvent : « plus d’humour ! Plus d’humour ! ». Je me suis efforcé d’aller chercher ça en moi. Comme vous avez du le noter, mes films sont généralement sombres, et c’était une bonne idée de me pousser dans cette direction. A la même époque, mon fils est né et j’ai tout à coup compris que ce film allait être montré aux gamins du monde entier. Je ne pouvais pas les effrayer et il fallait rendre le message plus positif. Le ton devait être différent. Il y a eu des difficultés évidemment. Par exemple, je voulais montrer la mort de la mère, ce qui n’est pas courant dans ce genre de productions… Beaucoup de gens trouvaient ça trop dark. Mais mon producteur était d’accord et il a tout fait pour protéger la fin du film, pour que cette fin reste. Conli était les muscles qui protégeaient le cerveau – mon film (rires)

Votre traitement était-il différent du film terminé ?

Oui, mais pas du tout à cause du studio. Quand je réalise un film de fiction, j’ai un script, des acteurs, et je répète autant que je veux pour arriver à ce que j’ai en tête. Pour ce documentaire ce fut différent : j’avais mon traitement, mais je me suis aperçu que les plans que je faisais étaient complètement différents de ceux du script. Je ne pouvais pas coacher les animaux, je ne pouvais pas interférer avec mes sujets…. On a passé trois mois à attendre un léopard des neiges. En vain. Au moment où on allait reprendre nos affaires et abandonner l’animal est enfin apparu… Forcément ce genre d’aventure modifie tout. De retour sur mon banc de montage, on faisait en fonction de ce qu’on avait. Je devais recomposer le script en fonction des éléments que j’avais tourné dans la journée…

Bizarrement, la confrontation entre l’homme et la nature était déjà au cœur de Kekexili et au moment de la sortie, vous racontiez comment les conditions particulièrement éprouvantes du tournage avaient fait évoluer le film…

Kékéxili a été un film essentiel pour moi - pour savoir comment filmer. C’est effectivement là que j’ai compris que la nature des éléments modifie l’esprit du film. Il y a deux éléments essentiels dans le making of d’un film : le réalisateur (son goût, ses obsessions, sa pensée) et le film en tant que tel, ce qui nous résiste, ce que la nature nous donne ou nous interdit de prendre… Du coup, je dois être assez ouvert, assez sensible, pour trouver le film que je tourne dans ce que l’on me donne. Il faut ouvrir son cœur pour laisser le film advenir… Et en cela, Kékéxili m’avait préparé pour Nés en Chine. Pour Kekexili, j’avais écrit un script afin de clarifier mes idées, organiser le tournage et développer des personnages. Et puis, en rencontrant les montagnards, en me confrontant aux lieux réels, à la difficulté de la vie sur l’Himalaya, j’étais obligé de changer mes plans et de m’adapter. On tournait à plus de 4700 mètres, dans des endroits où l’oxygène était très rare.

Comment résumeriez-vous Nés en Chine ?

Je ne peux pas le résumer. Parce qu’il m’a échappé. Quand je l’ai vu fini, j’ai vu, j’ai compris même que j’avais réussi un film plus grand et plus symbolique que tout ce que j’avais pu écrire. C’est un film sur la vie. La vie sauvage. Et la vie est plus colorée, plus intense et plus imaginative que tout ce que vous pourrez écrire dans un script !

Bande-annonce :