Après Aladdin, La Petite Sirène ou Basil, Détective Privé, les vétérans Musker et Clements reviennent aux affaires. Alléchant.
« C’est une scène de bataille sur un bateau inspirée par Mad Max. C’est Disney meets Fury Road ! » Devant le public d’Annecy qui s’est déplacé en masse, John Musker et Ron Clements font le show avec leur présentation d’images inédites de Vaiana. La prochaine production de la firme de l’oncle Walt se déroule dans les îles du Pacifique Sud et la séquence en question a effectivement des accents Milleriens. Montage cut, furie visuelle, virevoltages insensés des personnages au rythme des mandales distribuées avec fracas, échappées fantastiques... On découvre l’héroïne qui donne son nom au film et le demi-dieu Maui en train de se battre contre de petites créatures pirates, au design que ne renierait pas le jeu vidéo Zelda.
Vaiana (prononcez « Vayana ») se déroule il y a quelques centaines d’années, chez les « premiers navigateurs » de la planète, « guidés simplement par les étoiles et la mer ». Une histoire de dieux, de prophétie et d’une jeune fille qui rêve d’ailleurs, bloquée sur son île par des anciens devenus frileux. Une « quête d’identité » - on est chez Disney - et un film d'initiation certifié 100 % « sans romance ». Les premières images laissent penser que le studio revient à une formule bien connue - mais pour l'emmener un peu plus loin.
Un demi-dieu mais un vrai Rock
Normal : à la tête du projet on trouve deux légendes de l’animation, Clements & Musker donc, réalisateurs des plus grands chefs-d’oeuvre Disney des années 80-90 (Aladdin, La Petite Sirène, Basil, Détective Privé…). L’inséparable duo s'était mis en pause depuis 2009 et La Princesse et la grenouille, dernier film 2D sorti du studio de Burbank. Mais deux ans plus tard, le tandem s'ennuie et commence à nourrir l’envie d’un nouveau long-métrage. « On cherchait le thème de notre prochain film et l’univers dans lequel il se déroulerait. Je ne sais pas trop pourquoi, mais j’ai toujours été intrigué par le Pacifique Sud », nous confie Clements. « J’avais lu les livres de Melville et Conrad, vu les peintures de Paul Gauguin, et ça me semblait être un endroit visuellement stimulant, très riche. Aucun film Disney ne se déroule là-bas, à part Lilo et Stitch - mais c’était spécifiquement à Hawaï ».
Musker se met alors à faire des recherches, étudie la mythologie polynésienne et découvre des histoires « bigger than life ». Notamment celle de « Maui, un demi-dieu totalement incroyable » capable de changer d’apparence à volonté, et doublé par Dwayne « The Rock » Johnson dans le film. « J’ai tout de suite senti qu’on pouvait lui donner vie dans un dessin animé ».
A partir de ce socle, Musker et Clements se mettent à écrire une ébauche de script, un pitch qui tient trop facilement dans la potche, présenté en toute hâte au grand manitou John Lasseter. « Il a adoré cet univers mais il trouvait notre travail trop superficiel. Il voulait qu’on aille en plus en profondeur, qu’on fasse plus de recherches. C’est pour ça qu’on est parti plusieurs semaines dans le Pacifique Sud il y a quatre ans, pour s'imprégner de la culture, comprendre ce que ça veut dire de vivre sur une île », reprend Musker.
« L’idée de faire le film à la main m’a titillé »
Ce voyage entre Tahiti, Hawaï et les îles Fidji change leur point de vue sur le monde et leur apprend l’importance de l’océan dans la vie des autochtones. « Ils en parlaient comme s’il était vivant », se souvient Ron Clements. « Ça nous a donné une très belle idée d’animation : on pouvait en faire un personnage à part entière et lui donner une conscience. Dans le film, l’océan est central, il a une relation particulière avec Vaiana qui se développe tout au long de l’histoire ».
Pour illustrer ça, les deux réalisateurs ont présenté au festival d'Annecy une séquence renversante. Dans la scène en question, Vaiana marche sur une plage de sable fin. L’eau se retire au rythme des pas hésitants de la gamine, pour lui permettre de récupérer des coquillages. Et l’océan prend vie, forme une sorte de langue, caresse tendrement l’enfant et la fait délicatement revenir sur le rivage. L'émerveillement écolo, la poésie panthéiste, la beauté du ciel, la clarté de la mer, sa "respiration".... On est à deux doigts de la magie - et pas seulement parce que le rendu du liquide est à tomber par terre. La gestion de la lumière est à elle seule une leçon de cinéma (« On a passé un temps fou dessus, c’est incroyable ce qu’on peut faire aujourd’hui ») et si le moment ne dure pas plus de deux minutes, il a le pouvoir de vous extraire du temps, comme touché par la grâce. Au point qu’on a presque peur que le reste du film ne soit pas à la hauteur. Peut-être ce qu’on a vu de plus beau chez Disney depuis 20 ans.
« C’était un challenge. Il a fallu expérimenter, tenter des choses. Mais on est très fier du résultat », assure Clements, qui signe avec Vaiana sa première production en animation 3D. Ce qui est tout sauf anodin. L'animation par ordinateur est devenue le standard à Hollywood, mais il y a quelques années, en prenant la tête du studio, Lasseter avait promis le retour des films 2D et relancé cette méthode avec... La Princesse et la grenouille de Musker et Clements. « La 2D est devenue une excuse pour produire des histoires affligeantes. Le consensus aujourd'hui, c'est que les spectateurs ne veulent pas voir de film d'animation dessiné à la main. C'est ridicule », avait expliqué le génie aux chemises Hawaïennes.
« C'est vrai que John avait voulu relancer l'animation à la main. Bon, ça ne s’est pas passé comme ça. Je ne vais pas vous mentir, l’idée de faire ce film en 2D m’a titillé. On adore animer de cette façon et on voudrait que ça continue. Je crois que Disney est toujours ouvert à ça, si le sujet correspond à ce style ». Hmmmm... Les box office mitigés de La Princesse et la grenouille et de Winnie L'ourson semblent avoir marqué un coup d'arrêt à la production 2D, mais ce n'est pas la seule raison qui explique le passage de Musker et Clements à l'ordinateur.
Un trou de 1 000 ans
Cléments : « avec Vaiana il est rapidement devenu évident qu’on devait utiliser la 3D, ne serait-ce que pour animer l’océan. Les textures, les cheveux, l’eau, les vagues… L’animation 3D semblait être l’outil parfait pour donne vie au monde et aux environnements qu’on voulait mettre en place ». Lors de leur voyage dans le Pacifique Sud, ils rencontrent également un sculpteur, qui leur explique que la culture locale n’a jamais été vraiment basée sur le dessin. Que la sculpture est l’art majeur dans ces îles. « Et c’est logique, parce que quand on regarde le paysage là-bas, il y a du volume partout. Pareil pour les visages des gens, c’est comme s’ils étaient sculptés, taillés dans la roche. L’idée d’utiliser l’ordinateur m’a semblé encore plus justifiée après m’être rendu compte de ça ».
Au retour, le scénario est totalement revu et se concentre alors sur cette jeune fille qui veut devenir navigatrice et explorer le monde. Mais c'est là qu'intervient le coup de génie scénaristique de Musker et Clements. Pour densifier leur histoire, ils décident alors de s'appuyer sur un étrange "bug" historique. « Il y a un trou de 1 000 ans durant lequel on ne sait absolument pas pourquoi ils ont arrêté de naviguer. Que s’est-il passé ? Et pourquoi ont-ils recommencé à prendre la mer à un moment ? C’était une formidable opportunité pour nous de laisser libre cours à notre imagination ».
La signature Disney
Grandiose et intimiste à la fois, Vaiana est un cas à part au milieu des dernières productions Disney. En terme de style et de narration, le studio semble vouloir revenir aux standards des classiques d’autrefois, tout en les faisant basculer technologiquement dans le XXIe siècle. Des contes, avant d’être des dessins animés. Sorti en février dernier, Zootopie affirmait clairement une envie de storytelling plus moderne - avec le succès qu’on connaît. Et depuis quatre ans, Zootopie, Les Nouveaux Héros, Le Monde de Ralph (et La Reine des neiges dans une certaine mesure) ont montré que Disney, sans doute boosté par le rapprochement avec Pixar, cherchait des sujets plus pop, plus connectés. Vaiana est dans doute l’occasion pour Mickey d’imaginer de nouveaux Disney de Noël, à mi-chemin entre avant-gardisme et tradition. « La technologie ne doit jamais vous détourner de votre vrai but », résume Musker. « On a beau avoir à disposition des outils incroyables qui permettent de faire pratiquement n’importe quoi, il ne faut pas oublier qu’on est chez Disney. Il y a une signature. Si elle ne transcende pas le film, c’est que vous avez mal fait votre travail ».
François Léger
Vaiana, la légende du bout du monde, sortira en France le 30 novembre prochain.
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