Et c’est réussi. Et ? Ce n’est pas la première fois qu’un cinéaste signe deux James Bond à la suite. Terence Young qui signait en 62 le premier volet de la saga enchaîna tout de suite avec Bons baisers de Russie (établissant avec ces deux premiers films la charte définitive de la saga). Dans un autre genre : après les pitreries spatiales de Moonraker (Lewis Gilbert), John Glen imaginait la renaissance d’un Bond plus terre à terre, plus violent et plus dark avec Rien que pour vos yeux avant de sombrer dans le cartoon d’Octopussy…
La fin d'une trilogie...Mais avec Sam Mendes on parle d’un autre type de cinéaste. Mendes n'est pas un faiseur, un artisan capable d’usiner de la série B et de se plier aux directives de moguls surpuissants… Et son Skyfall cachait en réalité deux projets complètement distincts. D’abord, littéralement, son Bond marquait la fin de la « trilogie du reboot ». Souvenez-vous : en laissant pénétrer Bond dans le bureau de M (incarné par un extraordinaire Ralph Fiennes), en ressuscitant la figure clé de Miss Moneypenny et en intégrant le gun barrel à la fin de son film, il signifiait clairement que la tabula rasa initiée avec Casino Royale (et poursuivie avec Quantum of Solace) se terminait là. Enfin. Après trois films de réactivation/reconstruction d’une franchise cinquantenaire, Daniel Craig acquérait la légitimité de porter le smoking, le PPK et le permis de tuer qui va avec. Il avait enfin le droit de vivre une VERITABLE aventure de James Bond. La 24e au compteur serait donc sa première officielle.
... ou le début d'une autre ? Sauf que… Si en terme de mythologie, Skyfall mettait un point final au reboot, le film ne fonctionnait pas seulement comme la conclusion d’une trilogie des origines. C’était aussi un nouveau départ. Le film de Mendes réaffirmait à chaque instant, dans chaque plan, sa solennité, son angle, son concept : faire un Bond qui serait un vrai film avec un vrai humain pour héros. Une sorte de projet nolanien qui s’incarnait dans le matraquage constant de son affirmation essentialiste identitaire. Chaque image de Skyfall rappelait éloquemment qu’il s’agissait d’un Bond sombre, batmanisé. Et du coup, se détachait des deux précédents. Avec Skyfall, Mendes lançait une nouvelle version du héros classique, à la fois ranimé et réorienté (désorienté ?) par sa vision, par son regard rétrospectif et analytique. Et de ce point de vue-là, Mendes n’est pas vraiment allé au bout de son projet esthétique. Alors, James Bond 24 sera-t-il son Dark Knight ? Mendes a cité lui-même dans 2504 articles et interviews la trilogie de Nolan comme une inspiration essentielle de Skyfall. Il évoquait spécifiquement le 2, sans doute pour sa noirceur urbaine et la (géniale) parodie du Joker tentée par Bardem. Mais outre les figures imposées du blockbuster contemporain (le traitement émotionnel du héros orphelin, sa quête biographique, les tunnels et souterrains que les personnages doivent traverser pour « revenir au monde ») si on pense beaucoup au nouveau Batman et si on peut-être sûr que Mendes marchera sur ces traces spécifiques, c’est que Skyfall initiait un nouveau 007 usé, las, fatigué, un James Bond qui a désormais le droit à l’intensité, à la noirceur et même à un peu de tristesse.
Gaël Golhen
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