Comment Twilight a inventé le mainstream au féminin ? Pourquoi la saga cartonne ? Eléments de réponses avec un spécialiste de "la culture qui plaît à tout le monde"C’est l’une des sagas les plus lucratives du cinéma. Une histoire de vampire qui attire les foules et fait fondre les filles. Mais pourquoi cette fantasy pour midinette marche-t-elle si bien ? Faut-il être conservateur pour plaire au plus grand nombre ? A l’heure de la sortie de l’épisode 4 au cinéma, nous sommes allé demander l’avis de Frédéric Martel, auteur de Mainstream, Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde (Flammarion, 2010), et spécialiste de la question. Propos recueillis par Eric Vernay Frédéric, Twilight est-il mainstream ? Bonne question ! Le « mainstream » n’est pas un concept artistique. C’est un mot qui reflète des qualités multiples, dans lesquelles rentre parfaitement le phénomène Twilight : c’est un produit de masse, populaire et global. Un exemple : hier j’étais au Mexique. On y voit Twilight partout : dans les librairies, les cinémas, sur les murs… Et tout le temps en espagnol. Ensuite, Twilight est un système de sequel, c’est-à-dire une franchise qui se répète. On a du coup tous les critères de l’entertainment dit « mainstream ».Vous parliez du Mexique, mais il y a bien des pays où Twilight ne fonctionne pas ? Je ne peux pas vous parler de la Corée du Nord, mais Twilight existe en Iran, où j’étais il y a quelques mois. Si on ne projette pas les films dans ce pays, j’ai quand même vu un groupe de filles voilées, dans un café, qui avaient mis la photo de Robert Pattinson en fond d’écran. Ca prouve que le film est connu à la fois dans les pays où il est exploité commercialement, mais aussi dans d’autres pays où il doit passer par la sous-culture ou la culture underground. Ca frappe les jeunes de manière internationale.Pourtant le film est très américain, et semble s’adresser en priorité aux adolescentes. Ca n’en fait pas un produit de niche, ça ?Depuis l’émergence de la télévision, les personnes qui vont voir les films de manière massive sont les ados ou les familles avec enfants. On critique souvent le cinéma en disant qu’il ne s’adresse qu’aux gamins, mais c’est normal : c’est le public. Ce sont eux qui vont au cinéma. Les adultes sans enfants et les autres catégories sociales y vont moins massivement. Twilight est peut-être une niche, mais il s’agit d’une niche qui est la cible même de l’industrie. Je ne connais pas les chiffres exacts, mais Twilight doit concerner une tranche d’âge de filles qui irait de 10 à 17 ans. Et ces filles vont au cinéma accompagnées. Toutes les études américaines montrent que, traditionnellement, ce sont plutôt les garçons qui emmènent les filles au ciné. Hollywood a beaucoup produit de films d’action avec de la bagarre, de la violence, de la vitesse, et du désir, parce que les garçons sont les premiers prescripteurs du cinéma. L’adolescent mâle est le cœur de ce que l’industrie veut. Mais ce qui est intéressant avec Twilight, et c’était déjà le cas avec Harry Potter, c’est que ces sagas inversent la tendance : la fille est désormais motrice, c’est elle qui va emmener les garçons au cinéma.C’est comme ça que Twilight devient mainstream ? Exactement : les filles deviennent prescriptrices, parce qu’elles vont au cinéma avec leurs parents, ou leurs frères et sœurs. Et le film devient mainstream.Paradoxalement, sous couvert de romantisme féminin, le film véhicule des idées très conservatrices, puritaines voire anti-féministes. Est-ce que Twilight marcherait moins bien si Bella avortait, ou si elle faisait l’amour avant le mariage ?Ce qui me frappe, c’est que lorsqu’on parle à des responsables de studios en Chine, à Dubai, en Inde, au Brésil, ils vous disent qu’ils veulent faire du cinéma national « local », par opposition au cinéma américain, pour défendre les valeurs qui sont la famille, la tolérance entre les religions, des films avec peu de violence et peu de sexe. C’est un discours récurrent chez les principaux opposants aux USA comme la Chine ou les pays Arabes. Mais quand vous regardez la matrice de Disney - dont aucun film n’est « rated » (interdit aux moins de 17 ans) - ou de la plupart des studios qui font des blockbusters, elle fonctionne sur ce même type de valeurs. Twilight colle assez bien à la matrice scripturale américaine : un cinéma pro-familial, plutôt tolérant, avec peu de sexe et une violence contenue. Pour moi, ce n’est pas vraiment lié à un conservatisme particulièrement américain : ces films sont destinés à un public de moins de 17 ans. Comme on ne veut pas être « rated », pour plaire à la fois à la gamine de 9 ans et à ses parents qui la conduisent en voiture au multiplexe du coin, il faut un film « family friendly », tout public. Bollywood en Inde, les télénovelas au Mexique ou au Brésil, ou les films de costumes chinois, sont bien plus conservateurs que ne l’est le cinéma américain mainstream. Comme Harry Potter, la saga Twilight change de réalisateur à chaque épisode ou presque. Est-ce lié à cette volonté de gommer les particularités pour arriver à un produit impersonnel ou édulcoré ?Pour moi c’est un résidu de l’époque des studios : une usine qui produit des films et dont les acteurs (dernièrement celui de Spiderman a été remplacé), et encore plus les réalisateurs et encore plus les producteurs, sont interchangeables. On est dans une industrie dont la première caractéristique n’est pas l’œuvre d’art, signée par un auteur. Là, on est plutôt dans une franchise qui va être produite par une banque – le studio – qui va investir à chaque coup dans une maison de production qui peut changer, dans un producteur qui va varier, et qui va reconstruire grâce au Work For Hire (WFH, qui est la caractéristique du contrat du travail à Hollywood aujourd’hui) : on travaille sous la forme d’un contrat pour un film, avec une rémunération négociée avec une agence de talent, et contre lequel vous cédez votre copyright. Compte-tenu de ça, vous obtenez un produit qui est moins lié à des artistes précis.Bande-annonce de la première partie de Révélation, qui est sorti hier :
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EXCLU - Twilight : faut-il être puritain pour cartonner ?
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