Under the Silver Lake
Le Pacte

Rencontre avec le réalisateur du film pop le plus labyrinthique de l’année.

Ses cheveux ont poussé depuis l’époque d’It Follows, mais il est toujours aussi pâlichon et répond toujours aux questions d’une voix traînante : David Robert Mitchell ressemble de plus en plus à un membre d’un groupe de rock indé californien. Rencontré à Cannes en mai dernier, au lendemain de la projection de Under the Silver Lake, le réalisateur consentait à lever un (tout petit) coin de voile sur son L.A. movie retors et nébuleux, cerné par les ombres de la cinéphilie et de la paranoïa.

 

Première : Quelle est la première image de Under the Silver Lake à avoir germé dans votre esprit ?

David Robert Mitchell : La toute première image, je ne peux pas en parler sans spoiler, c’est la révélation de l’intrigue ! Puis, presque simultanément, j’ai imaginé la scène avec le songwriter. Tous les moments clés du film me sont arrivés en rafale, en l’espace de 24 heures. J’ai très vite pensé à ce personnage, ce détective amateur qui a très peu de raisons d’essayer de résoudre ce mystère, et qui fait ça parce qu’il n’a rien d’autre à faire de ses journées !

Comme s’il était surtout à la recherche d’un mystère à résoudre…

Exactement. Comme les conspirationnistes, en fait. Le film parle de ça : quand il n’y a plus rien à explorer, à questionner, on invente des mystères. Sinon, à quoi bon vivre ? Sam, le protagoniste, pourrait travailler, faire quelque chose de constructif de son temps, mais à un moment donné de son existence, il a fait un autre choix, il a arrêté de prendre soin de lui. Under the Silver Lake s’intéresse autant à l’enquête sur la disparition de la voisine de Sam, qu’à ces gens qui espèrent résoudre des mystères et des complots.

Vous écrivez dans la note d’intention du film : “La pop culture est désormais la seule culture.” A quel moment est-ce arrivé selon vous ?

Ah, ah, je ne sais pas ! J’imagine qu’Internet a quelque chose à voir là-dedans… Quand les informations, les données, les images, de plusieurs décennies sont disponibles instantanément, on perd sans doute un peu la notion du temps. C’est plus difficile de dire où nous en sommes, culturellement parlant. Et tout finit par se confondre dans un épais brouillard.

Cannes 2018 : Under the Silver Lake, délicieux labyrinthe pop (critique)

Under the Silver Lake est truffé de références à la tradition du L.A. Noir. Vous avez un film fétiche dans le genre ?

Impossible d’en citer un seul, j’en aime tellement. Il y a les classiques, bien sûr, Le Grand Sommeil et En Quatrième Vitesse. Mais une série comme Deux cents dollars plus les frais (The Rockford Files) est tout aussi importante pour moi ! Sans oublier Chinatown, Le Privé, Hitchcock, Fritz Lang, quelques Lynch – même si je trouve qu’on associe un peu trop facilement Under the Silver Lake à Lynch.

Peut-être parce que vous avez embauché Patrick Fischler dans un rôle clé – impossible de le voir sans penser à Mulholland Drive

Oui, sans doute. N’empêche, je trouve ça un peu facile. J’adore David Lynch, hein, mais disons que c’est l’un des mes 50 réalisateurs préférés. Il n’y a pas que lui.

Vous avez grandi dans le Michigan. Quel L.A. movie vous a servi de boussole quand vous vous êtes installé à Los Angeles ?
Body Double. Un grand L.A. movie. Connaître la géographie de la ville me l’a fait aimer encore plus.

En tournant Under the Silver Lake, vous étiez à la recherche de lieux qui n’avaient pas été trop exploités au cinéma ?
Oui et non. L’idée était plutôt de réfléchir au rôle que tenait ces lieux dans l’histoire du cinéma ou de la télévision et de les réinterpréter, de les réinventer. La grotte qu’on voit dans le film, par exemple, on l’a vu des milliards de fois. C’est là qu’Adam West garait sa Batmobile !

Plongeons dans la bande originale pop (rock, électro, jazz, RnB, grunge...) d’Under the Silver Lake

C’est à Silver Lake qu’il faut chercher les hipsters aujourd’hui ?

Oh non, c’est fini ! Le film est une sorte de rêverie sur l’été 2011, sur ce bref instant où a prospéré là-bas cette étrange petite culture hipster, dont je propose une version distordue et fantasmée. Aujourd’hui, c’est toujours très sympa de vivre à Silver Lake, mais les gens ont vieilli ou sont partis, ça n’a plus rien à voir. C’est plein de familles avec des poussettes.

Le film donne l’impression de vouloir être le dernier chapitre du genre L.A. noir, l’épilogue de cette tradition. C’était l’idée ?

Définitivement.

Et où aller après ça, alors ?

Je ne sais pas, ce sera à un autre réalisateur de répondre ! Mais ce sont des questions que pose le film : quand tu as passé ta vie à vénérer des œuvres culturelles et que tu réalises qu’elles manquent peut-être de pureté, que faire après ça ? Faire l’autruche ? Tout laisser tomber ? Ou alors se mettre en quête de quelque chose de plus pur ? Résister et créer quelque chose de nouveau ? Je ne sais pas… Enfin, si, j’ai mon idée sur la question, mais c’est au spectateur de se faire son opinion.

Vous avez vu Ready Player One ?

Non, mais plein de gens m’en parlent, j’ai cru comprendre qu’il y avait des parallèles à faire entre les deux films, sur le thème de l’obsession pour la pop culture, sur notre désir de trouver du sens dans la pop. C’est marrant parce que quand on a commencé à réfléchir au marketing de Under the Silver Lake, j’avais proposé de faire des posters magic eye, vous savez, avec des images en 3D cachées à l’intérieur de l’image, qui n’apparaissent pas forcément au premier coup d’œil. Et pile au moment où on y travaillait, la promo de Ready Player One a commencé, et ils ont sorti leurs propres posters magic eye ! Je les ai maudits (Rires) ! Mais je me suis également dit que ça ne pouvait pas être une simple coïncidence…

Trouvez les indices cachés sur le poster d'Under the Silver Lake

Vous aimez chercher des messages cachés dans vos films, vos livres, vos disques préférés ?
Non, mais j’ai toujours été passionné par ces gens obsédés par des choses qu’ils ne trouveront jamais. Qu’ils enquêtent sur la mort de Kennedy ou sur le Bifgoot, ils créent de la mythologie, c’est presque religieux. Je ne ferais jamais ça, mais s’il y a des gens qui trouvent un sens à leur vie comme ça, c’est cool. Enfin… c’est cool jusqu’à un certain point ! Ça dépend qui le fait et sur quel sujet.

Y a-t-il des messages cachés dans Under the Silver Lake ?
Je ne sais pas ! (Rires) Il faut chercher. Si vous en trouvez, ça signifie qu’ils ont réussi à se frayer un chemin jusqu’à l’intérieur du film.

Un dernier mot sur le personnage de Sam. Au moment où le film commence, il est déjà mal en point, sur le déclin. Vous en savez beaucoup sur sa backstory ? Sur ce qui l’a mené jusque-là ?

Oui. Il y a d’ailleurs des indices dans le film, certaines pièces du puzzle, qui sont plus faciles à assembler quand on a vu le film plusieurs fois. J’ai toujours eu envie que Under the Silver Lake soit le genre de film qui gagne à être revu, où tout n’apparaît pas à la première vision. Il y est question d’un mystère à résoudre, mais aussi du mystère de Sam, et de la façon dont la trame du film elle-même fabrique du mystère. Il y a donc au moins trois niveaux de perception. La première fois, je pense qu’on n’en perçoit qu’un seul.