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Une soirée mortelle d’ennui, mais des résultats surprenants : la supériorité artistique de The Artist confirmée et Omar qui triomphe, naturellement...Drôle de DrameDès le début, un Guillaume Canet robotique plaçait la cérémonie des César 2012 sous le signe du renouveau. Dans un discours pénible et laborieux, le président vantait un cinéma français diversifié, différent, capable d’étirer ses adducteurs pour assurer le grand écart entre des prétentions auteurs et une séduction grand public. Les César allaient donc être une fiesta. D’abord parce que depuis quelques mois, les compteurs sont bons. Excellents même : avec 215,6 millions d’entrées en salles, la fréquentation a connu un record, un chiffre jamais atteint depuis 1967. Fallait bien fêter ça. Ensuite parce que, en terme de show, rassembler dans une même salle Jean Dujardin, Maiwenn, JoeyStarr, Gilles Lellouche, Antoine De Caunes, et le décolleté de Kate Winslet, c’est mettre d’avance tous les atouts de son côté pour que la party soit réussie. Elle fut sinistre.Qu’a-t-on vu ? Le décolleté de Kate Winslet impeccable, le sketch embarrassant de Julie Ferrier, les vannes foireuses de De Caunes (le joint pour être cool ?), l’apparition de Kasso (qui sonnait comme le repentir sinistre de l’enfant terrible) et la grâce mutine de Sara Forestier (comme l’année dernière avec sa «petite culotte porte-bonheur») coincée entre les remarques gênantes de Mathilde Seigner et celles du duo Elmosnino / Depardieu. Bref : le poussif le disputait à l’incompréhensible, pendant que Canet oeuvrait en pilotage automatique. De mémoire - et au moment où l’on nous répète que le cinéma français va bien - jamais une cérémonie n’avait été aussi ennuyeuse. Millimétrée, cadrée (triomphe du prompteur). Mais ringarde.Le triomphe de l'Artist Question prix, par contre, ces César ont créé la surprise. 2011 fut l’année des films-prototypes, des films osés, audacieux, voire impensables. Du coup, les pronostics nous assuraient que chacun de ces OVNIs seraient récompensés à leur juste valeur. Que l’Académie allait fêter la formidable diversité du cinéma hexagonal, ses histoires de dingues, ses coups de poker...  On s’était préparé à une descente de Polisse (13 nominations pour le film de Maiwenn), on pensait que La Guerre est déclarée allait glaner quelques statuettes, que The Artist viendrait faire un petit saut..., bref que, comme l’année dernière, le palmarès serait mesuré, juste, équilibré. Le quasi grand chelem de The Artist (6 César dont quasiment tous les principaux - Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleure actrice, Meilleure musique, Meilleure photographie, Meilleurs décors) sonne comme un coup de tonnerre. Pas parce que le film ne le méritait pas. Au contraire. On a dit partout (sur ce site, dans le magazine) à quel point l’OVNI de Michel Hazanavicius était un prodige de sophistication et de classe. Mais que la grande famille du cinéma “oublie” les actrices de Polisse, zappe le miracle de La Guerre est déclarée et boude L’Exercice de l’Etat (chouchou des critiques) en dit finalement très long sur l’incomparable supériorité de The Artist aux yeux de la profession. Les César décrochés par ce délire de cinéphile prouvent une fois de plus que ceux qui ont ricané à l'annonce de ce projet mégalo-gadget, ceux qui ont refusé de le financer, ceux qui y voyaient autre chose que le geste de cinéma insensé qu'il est, se fourraient le doigt dans l’oeil. La vraie leçon des César 2011 est là : in fine, la classe française triomphe face au naturalisme échevelé du Maiwenn (jusqu’à JoeyStarr zappé au profit de Michel Blanc), ou à l'émotion délirante de La Guerre est déclarée.Omar l’a tué Reste le duel Omar Sy / Dujardin remporté aux points par l’Intouchables. On dira que c’est peut-être un trop beau symbole (Omar premier black césarisé meilleur acteur); que Dujardin, génial, ne devait pas repartir les mains vides; on pourra toujours se demander si les César n’ont pas tenu à se démarquer des autres cérémonies internationales en boudant la perf’ du Duj (l’acteur a, sur ses étagères, un prix cannois, un Golden Globe, un BAFTA et devrait nous ramener un Oscar). Dujardin lui-même l'avait pressenti et en septembre, revenant sur son prix Cannois, l'interprète de George Valentin confiait tranquillement au Nouvel Obs : "Je ne suis pas revanchard, mais il y a un truc qui m'amuse. Les membres du jury cannois ne me connaissaient pas, ils n'ont voté qu'en fonction du film, sans a priori. C'aurait été un jury français, le résultat n'aurait pas été le même. Toute l'équipe en est persuadée. C'est là que le pied de nez est intéressant". Au fond cette soirée lui donne raison. Dujardin victime de son statut de star populaire et de son succès international ? Peut-être, mais il ne faudrait pas oublier que Intouchables doit beaucoup à Omar, littéralement exceptionnel dans le film. L’acteur opère une métamorphose sidérante : fini le gimmick du gros rire après chaque blague, juste de l’intensité comique partout, tout le temps. Un sens du timing sidérant, un corps qui occupe l’espace et l’écran comme aucun autre acteur français cette année - et on a bien dit AUCUN.Allez, la grande famille du cinéma peut se rendormir jusqu'à l'année prochaine. On regardera (demain soir) les Oscars pour savoir si la classe américaine est supérieure au génie français et si le triomphe de The Artist ce soir se reproduira au Kodak Theatre de Los Angeles.Pierre Lunn