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Rencontre avec le réalisateur russe, prix du jury du dernier Festival de Cannes.

Faute d’amour est très puissant, très impressionnant. On voit beaucoup de films post-bergmanien à Cannes et celui-ci semble écraser toute la concurrence… Si l’expression “film de festival” n’était pas aussi péjorative, on pourrait presque dire que votre film est un modèle du genre…
J’ai l’impression que c’est surtout une question pour Thierry Frémaux, ça ! En Russie, en tout cas, l’expression “film de festival” a en effet une connotation très négative. Comme si on ne faisait des films que pour les intellos, pour un public très ciblé. Moi, j’espère faire du cinéma tout public. Mes films reflètent des problèmes de société, mes inquiétudes, mes observations. Le film vient de moi, d’une certaine manière il est pour moi. Pas pour les sélectionneurs cannois en tout cas ! Je dis souvent qu’il n’y a pas de recette idéale pour un film. Eh bien il n’y a pas non plus de recette pour être sélectionné à Cannes…

Faute d’amour est moins touffu que votre précédent long, Leviathan. Plus sec, plus à l’os. Ce contraste était voulu ?
Peut-être que Faute d’amour est plus local, plus resserré, en effet. Leviathan brassait beaucoup de choses : il y avait l’étude des relations entre trois personnages, l’impact de l’Eglise, de l’Etat… C’était comme un grand orchestre, une polyphonie. Là, c’est différent. Le film est comme un arbre sur lequel deux branches ne cesseraient de s’entremêler. La première branche, c’est l’histoire d’un couple face à une tragédie, un enfer domestique, la disparition de leur enfant. La deuxième branche, c’est une immersion dans le monde qui les entoure, un climat spirituel et social étouffant, tous ces plans où on les voit en voiture en train d’écouter la radio, chez eux face à la propagande de la télé… Ces deux branches sont distinctes, mais elles se rejoignent parfois et, surtout, elles vont dans la même direction. C’est un film qui aborde un sujet très précis. Dès le début, avec ce plan de l’enfant caché derrière la porte, on comprend tout de suite où va le film. Je suis comme un joueur de violon, en fait. Parfois je travaille dans un orchestre, parfois dans un quatuor à cordes, mais au fond, c’est toujours le même morceau.

Notre critique de Faute d'amour

Le titre international du film est “loveless”. “Sans amour”. Certains vous reprochent d’être trop dur avec vos personnages, comme si vous ne les aimiez pas beaucoup non plus…
Vous savez, j’ai passé deux ans et demi de ma vie à travailler sur ce film… Comment voulez-vous que je consacre autant de temps à quelque chose ou quelqu’un que je n’aime pas ? Je ne juge pas mes personnages. Ce sont des figures, des instruments, que j’utilise pour dire quelque chose au public, montrer certains comportements humains. Ce film est le fruit d’un long travail d’observation. Ce serait de la folie de résumer ça à : “Oh là là, regardez comment ces gens se comportent mal, comment leur comportement est répréhensible.” Je partage simplement avec vous cette catastrophe, cette déréliction. Je vous propose de l’observer avec moi. A un moment, dans le film, quelqu’un dit : “Il est impossible de vivre sans amour.” Voilà, c’est ça, le message principal que je souhaite transmettre aux spectateurs. Pas les pousser au jugement, mais à la compassion. 

Le film débute en 2012, on y entend plein d’allusions à la fin du monde selon le calendrier maya. Vous y croyiez, à l’époque, à cette prédiction ?
Il y avait une sorte d’hystérie en Russie à ce moment-là, tout le monde pensait que c’était la fin des temps. Mais bon, le film débute en octobre 2012 et s’achève en 2015… Et on est tous encore là !

Il y a comme souvent chez vous ces plans de paysage qui ponctuent le film, et surtout cette neige qui recouvre tout, à la fin…
Ce paysage hivernal au bord de la rivière, à la fin du film, est arrivé là presque par hasard, par effraction. Ces plans n’étaient pas prévus dans le script au départ. On avait filmé cet arbre pour les scènes du début, quand le garçon revient de l’école et se promène le long de la rivière. Et plus tard, quand on l’a revu recouvert de neige, on a choisi de l’inclure dans le film. On avait été ébloui par sa beauté, la majesté de ce paysage enneigé.

Faute d’amour, actuellement en salles.