PREMIERE : Quand on revoit Or noir en DVD, on est frappés par l’idée que les véritables personnages principaux sont ceux incarnés par Mark Strong et Antonio Banderas. Le problème, c’est que le film est raconté du point de vue de celui de Tahar RahimJEAN-JACQUES ANNAUD : Je vois ce que vous voulez dire, or, pour moi, c’est d’abord l’histoire d’un choix entre modernité et tradition que ce jeune héros va devoir faire. Et ce choix est symbolisé par les personnages de Mark et d’Antonio… Mais je vois plutôt Or noir comme un triangle, une histoire racontée à trois voix.Vous semblez avoir plus d’affection pour ces vieux rois sur le déclin, qui regardent émerger un nouveau monde dans lequel ils n’auront pas leur place. J’ai l’impression que ça raconte quelque chose sur votre place de cinéaste aujourd’hui.Oh, ça ne parle pas tant de moi que d’un processus auquel toutes les civilisations doivent se confronter un jour ou l’autre, sous peine de dépérir.C’est le genre de thématiques sur lesquelles s’interrogent en général des cinéastes au crépuscule de leur carrière. Je pense notamment au John Ford de L’homme qui tua Liberty ValanceForcément. Il faut avoir une certaine perspective sur l’évolution de la vie pour parler de ces choses-là. D’un autre côté, beaucoup de mes films, comme Le Nom de la Rose ou La Guerre du feu, parlent de la fin d’une époque et du début d’une autre. Je l’ai toujours fait sans nostalgie. Je suis quelqu’un qui a embrassé tout de suite les nouvelles technologies, comme la stéréo, le digital, la 3D ou l’Imax, car je sais que les changements matériels sont faciles à gérer.Dans  Or noir, votre regard semble quand même plus mélancolique.Possible… Quand j’ai écrit le scénario, je ne me doutais pas que le printemps arabe allait arriver, mais j’étais sensible au mal de vivre dans cette région du globe. Aujourd’hui, on suppose que ces évènements se sont déroulés pour des raisons économiques, mais je ne le crois pas. Si cette explosion a eu lieu, c’est avant tout pour des questions d’honneur, de respectabilité, de considération. C’est à travers ces notions-là qu’une civilisation grandit.Justement, alors qu’il semblait en phase avec ces évènements, Or noir n’a pas plu au grand public. Comment l’expliquez-vous ?Déjà, je ne crois pas que le film n’ait pas plus, c’est juste que les gens n’y sont pas allés. C’est autre chose. Au cinéma, il est vital de savoir différencier désir et plaisir. Vous le savez comme moi, il y a des films que les gens veulent voir coûte que coûte, même s’ils savent que c’est mauvais… Ça ne tient donc qu’au marketing ?Ah non, pas du tout ! Le marketing d’Or noir était très bien, c’est la nature du film qui n’a pas donné aux gens l’envie d’y aller. J’ai eu la chance de voir tous mes longs métrages distribués dans le monde entier, et j’ai pu constater qu’un film n’a pas le même pouvoir d’attraction dans un pays ou dans un autre. Et puis il y a eu le problème de la date de sortie. Les révolutions arabes ont saturé l’esprit des gens, ce qui n’a pas joué en notre faveur.Or noir a-t-il fonctionné à l’international ?Ça a été un triomphe au Moyen-Orient…Outre l’échec public du film, j’ai surtout l’impression que vous êtes devenu, bizarrement, un cinéaste sans postérité. Ou plutôt sans héritier(s).C’est bien possible. Sans doute parce que je me sens bien partout, sauf à l’endroit où sont les autres. Du coup, il devient difficile de s’identifier à mon cinéma, d’autant que j’ai cette aversion profonde pour les phénomènes de mode. C’est terrible : à une époque, on ne retenait de moi que mes millions d’entrées, comme si j’avais une recette déclinable à l’infini. Aujourd’hui, peut-être que certains de mes échecs permettront aux gens de comprendre, qu’au fond, je n’ai fait que creuser un seul et même sillon tout au long de ma carrière, et qu’il m’était très personnel.Interview François Grelet