Lorenzo di Bonaventura Transformers
Paramount/Abaca

Historique de la saga Transformers, di Bonaventura, 67 ans, est aussi cash qu’un producteur hollywoodien peut se permettre de l’être en 2024. Il nous raconte comment on fait perdurer une franchise maousse et lit dans l’avenir de l’industrie.

Dans la forme comme dans le fond, Transformers : Le Commencement ne ressemble en rien aux précédents films de la saga. C’était le moment de secouer une franchise qui ronronnait gentiment ?
Lorenzo di Bonaventura : Je voulais en tout cas revenir aux origines. Autour de la sortie de Bumblebee, en 2018, on a commencé à explorer les possibilités qui s’offraient à nous. La mythologie Transformers nous donnait la possibilité de raconter une super histoire mais le problème, c’est que pour la transposer en prises de vues réelles, il aurait fallu débourser entre 500 et 600 millions de dollars. Évidemment impossible. Et certains financiers ne croyaient pas vraiment que les gens pourraient se sentir concernés par un film se déroulant sur une autre planète. Donc pendant longtemps, on en est resté là. Et tous les trois ou quatre ans, on revenait à la charge. Hasbro était très intéressé par ce projet, Paramount ne l’était pas du tout. En fait, on a fini par les avoir à l’usure (Rires.) Et ils ont commencé à prêter attention à la qualité de l’histoire. On sentait que le public voulait quelque chose de différent, et nous aussi, d’ailleurs.

Parce que c’est aussi une façon de maintenir l’intérêt des fans, 17 ans après le premier film ?
Oui, mais dit comme ça, ça donne l'impression que c'est une décision commerciale. Alors que ce qui nous intéressait vraiment, c’étaient les personnages. Beaucoup de films d’action prétendent être basés sur leurs personnages, mais en fait ce n’est pratiquement jamais le cas. Et ce que je vais vous dire va sûrement vous sembler évident, mais ça ne l’était pas pour nous : quand on tourne en live action, le public s’investit dans les humains. Là, il n’y en a pas. Donc toute l’humanité doit se retrouver dans les personnages des robots.

Je pense que c'est la première fois que nous explorons tout le potentiel d'un robot sensible. Quand tu animes un personnage en images de synthèse dans un film en prises de vues réelles, ça te coûte environ un million de dollars la minute. Ce qui t’oblige à faire des choix drastiques. Où est-ce qu’on dépense l’argent ? Dans l’action ? Dans la caractérisation des personnages ? Tu ne peux pas faire les deux. Avec l’animation, tout était possible. Il sera très intéressant d’observer l'impact que Transformers : Le Commencement aura sur le prochain film en live action. Je ne pense pas qu’on puisse revenir en arrière sur la profondeurs des robots. On n’a plus le choix. Le studio ne sera peut-être pas du même avis, mais on va pousser vers ça.

Transformers : Le Commencement
Allison Voight/Splash News/ABACAPRESS.COM

Sauf que les fans de Transformers semblent surtout réclamer des scènes d’action monumentales, non ?
Si (Rires.) La fanbase s’est beaucoup plainte de Bumblebee : « Où est l’action là-dedans ? Et Optimus, il est où ? » Ce qui n’a pas empêché certains d’aimer, hein, mais on a reçu un paquet de critiques. C’était une leçon. On apprend à chaque film. D’ailleurs, si vous prenez Transformers : Rise of the Beasts, on s’est beaucoup focalisé sur l’histoire de cette famille, mais sans laisser tomber l’action. Et les fans ne se sont pas plaints. Il faut faire les deux.

Mise à plat, la mythologie Transformers est un sacré bazar…
Oui, plein de choses se contredisent.

Comment avez-vous démêlé tout cela pour rendre l’histoire de Transformers : Le Commencement aussi limpide ?
L’origin story de Transformers est bien plus claire que la mythologie globale. On a beaucoup discuté de la dynamique entre Optimus et Megatron. Et à bien des égards, il nous semblait qu’elle reflétait les différences idéologiques entre la droite et la gauche, aussi bien en France qu’aux États-Unis. Nous n'avons donc pas fait Transformers : Le Commencement en pensant que c'était un film politique, mais…

… il l’est tout de même beaucoup, notamment dans la façon dont vous montrez l’exploitation des ouvriers par les dirigeants. Un discours qui est d’ailleurs très étonnant de la part d’un film Transformers.
Parce que c’était pertinent par rapport à l’histoire. Et si j’avais un gamin de six ou huit ans, je pense que je serais content de l’emmener voir un film comme ça pour pouvoir commencer à lui parler des problèmes liés à l’autoritarisme.



En quoi est-ce différent de faire un film Transformers aujourd’hui, par rapport à l’époque où vous tourniez les deux premiers avec Michael Bay ?
C'est autre chose. Au fil du temps, on a placé la barre très haut en matière de spectacle, donc le plus dur est de continuer à nous dépasser. Mais comment éviter de se répéter ? L’idée est maintenant de briser le moule et, comme je vous le disais, de nous focaliser d’abord sur la caractérisation des personnages. Je ne sais pas encore quelle incidence ça aura sur l’histoire, mais je suis persuadé que ça va générer des choses très intéressantes. Pour autant, je garde bien en tête que c’est compliqué, même à un niveau inconscient, de ne pas refaire constamment la même chose. Ça a d’ailleurs pu nous arriver par le passé… On voit beaucoup de franchises tomber dans ce piège.

Et il y a une chose à laquelle je prête beaucoup d’attention depuis quelques années : le public qui n’est pas allé voir les premiers films d’une franchise a de moins en moins de chances de prendre le train en marche. Parce qu’il a l’impression de devoir faire ses devoirs avant d’aller au cinéma. Le tire original de Transformers : Le Commencement est Transformers : One, et c’est un choix parfaitement assumé. Un spectateur doit pouvoir venir en salle sans avoir l’impression d’être obligé d’avoir vu cinq films avant pour comprendre l’histoire.

Exactement le problème auquel est confronté Marvel.
Oui, et je fais partie des gens qui ont arrêté de regarder tout ce qui touche à Marvel. Les films originaux étaient vraiment bons, mais le reste est nul. Même le dernier Avengers, je ne l’ai vu qu’en partie, parce que j’avais manqué les deux précédents films… C’est quand même fou, non ? C’est censé être du pur divertissement et je m’en sens exclu. C'est quelque chose que tu dois garder à l'esprit lorsque tu gères une franchise.

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Comment voyez-vous l’industrie hollywoodienne évoluer dans les dix prochaines années ?
Vaste question. Je crois que l’industrie du cinéma a fait une énorme erreur au début des années 2000 en arrêtant de produire des films R-Rated [interdits aux moins de 17 ans, sans accompagnant adulte]. Il sont partis du principe que l’interdiction aux moins de 13 ans était plus sûre. Une bêtise, selon moi. Car ce qui s’est passé, c’est que nous avons créé une violence factice à grande échelle. Dans ces films, tout un tas de gens se font tuer mais ça ne pose de problème à personne parce qu’il y a pas de sang. C’est comme si ce n’était pas grave. Réfléchissez-y deux minutes : quelle est la logique là-dedans ? Qu’est-ce qu’on raconte à nos jeunes ? 

Et l’autre problème, c’est qu’en faisant ça, on a également abandonné le meilleur public qu’on ait jamais eu : les jeunes hommes. Je ne pense pas que ce soit une coïncidence si The Beekeeper a si bien marché, car c’est exactement le genre de film qu’on faisait jusqu’à la fin des années 90. Et les jeunes hommes sont venus en masse au cinéma pour voir ça. 

Par ailleurs, Hollywood a abandonné toute idée de controverse. Ces grandes entreprises en ont maintenant une peur bleue. J'ai participé à de nombreux films controversés dans ma carrière, et devinez quoi ? Ils ont toujours rapporté de l’argent. Et je serais prêt à parier que leur succès aurait été moindre s'ils n'avaient pas été aussi polarisants. Les studios ont intégré que la controverse veut dire qu’une partie du public ne viendra pas en salles. Certes, mais tu ne mets pas 200 millions de dollars dans Les Rois du désert ou Training Day ! Si tu restes sur 45 ou 50 millions de budget, alors ton film a toutes les chances d’être profitable, parce que c’est un pari raisonnable. 

Les personnes haut placées dans l’industrie ont décidé de jouer ce qu’elles estiment être la sécurité, et de ne faire que des vanilla movies, des films sans aspérités. Actuellement, ce sont des personnes âgées, très conservatrices, qui ont le pouvoir à Hollywood. On a besoin que des jeunes viennent renverser la table, comme ce qui s’est passé dans les années 70 quand les studios ont misé sur des Peter Bogdanovich ou des Dennis Hopper. On a besoin d’une contre-culture.

Transformers : Le Commencement, actuellement en salles.