Dj Mehdi
© Xavierdenauw

Dans une série documentaire disponible sur arte.tv, Thibaut de Longeville décrypte le phénomène DJ Mehdi et dépeint une trajectoire unique en son genre.

Sans jamais se départir de sa bonne humeur, Dj Mehdi donnait à voir une placidité à toute épreuve. Une force tranquille selon ses proches. Capable de faire de la musique des heures durant avec les plus grands noms du rap français comme avec ceux de la French Touch, il était le roc sur lequel tous convoyait. La série documentaire Dj Mehdi : Made in France, disponible depuis le 12 septembre sur arte.tv, revient sur l’ascension fulgurante d’un producteur et compositeur hors pair, naviguant entre les genres et les époques.

Thibault de Longeville, ami d’enfance de Medhi, a eu la bonne idée de le filmer à travers les âges. C’est grâce à ses images qu’il a pu réaliser les six épisodes proposés sur Arte. Six épisodes en forme d’hommage au regretté, mort en septembre 2011, mais surtout en forme de plaidoyer pour la musique, dans tout ce qu’elle a de plus composite. Avec force d’invités prestigieux, celui qui a frayé avec la planète rap depuis son adolescence nous montre à voir l’homme, finalement peu connu du grand public, derrière la musique. On aurait pu croire à une hagiographie, on a le droit à un portrait tout en intimité, jouxtant la vision très éclectique de DJ Mehdi.

Si la musique est faite de trajectoires, l’histoire de DJ Mehdi tient plutôt de la destinée. Grandissant à Genevilliers puis à Colombes dans une famille où la musique occupe une place prépondérante, Mehdi Faveris-Essadi baigne dans un bouillon de culture dès son plus jeune âge. Une voie toute tracée ? Il convient toutefois de rappeler que nous sommes au début des années 90, dans une ville pauvre et que Mehdi est ici de l’immigration, de Tunisie pour être précis. Pas forcément l’environnement propice à une futur grande carrière dans la musique. C’est en tout cas ainsi que Thibault de Longeville introduit son ami, avec le concours d’un Kery James éploré à l’évocation de son compagnon de route.

Du même âge, ces derniers vont se rencontrer par l’entremise de Cut Killer -un autre Dj qui fera des émules, starifié dans La Haine - et très vite commencer à collaborer. A 15 ans seulement, les deux ont déjà de solides bases dans leurs domaines respectifs : Mehdi compose déjà des morceaux et des instrus et Kery James est à la tête d’un groupe de rap, Ideal J pour Ideal Junior. Grâce à des images saisissantes par l’alchimie qui les lie, on les voit arpenter les rues de Paris et les disquaires en quête des nouveaux vinyls de rap américain ou de soul. Trois ans après, en 1996, sort leur premier album, puis la consécration arrive en 1998 avec Le combat continue.

La force du documentaire tient aussi dans son casting. La plupart des membres de la Mafia K’1 Fry, collectif de rap originaire du 94, interviennent, tous en des termes plus élogieux le uns que les autres envers Dj Mehdi. On comprend qu’il a su se faire aimer sans vraiment le vouloir, que son talent le précédant il était devenu incontournable. Manu Key, Mokobé, AP, Rim’K, Teddy Corona, Rohff, tous en conviennent : ce Dj est spécial et est même unique en France où la plupart des producteurs sont perfusés sous rap américain. Lui sait jouer de sa culture musicale et va piocher dans tous les genres. Avec son plus gros succès à ce jour, l’album Les Princes de la ville puis Le 113 Fout la merde, il va encore plus loin dans le sampling -cet art qui consiste à choisir un bout d’un morceau et à la triturer sans fin- et va chercher dans la musique électronique.

Dans la série de Thibault de Longeville on voit bien ce souci de perfection poussé parfois à l’extrême. Raconté avec forces de détails par ces artistes, devenus comme des frères, mais aussi par sa mère et sa cousine. Lesquelles se remémorent, entre étonnement et amusement, le passage à l’époque très commenté de Dj Mehdi avec l’électro et son entrée dans le légendaire label Ed Bangers. Léger bémol de la série, ce changement de direction artistique qui intervient au mitan des années 2000 est peu exposé, si ce n’est dans un épisode, le dernier. Cassius, Busy P alias Pedro Winter ou encore Romain Gavras sont ainsi interrogés sur cette nouvelle vie faîte de tournées internationales et de boîte de nuit, aux antipodes des codes du rap. Ils esquissent l’idée d’une mue plutôt qu’un reniement. Un Dj complet en fait d’un homme tiraillé. Rap et électro, Mehdi en trait d'union.

Exercice convenu s’il en est, la série documentaire est ici portée aux nues, entre images d’archives, interview d’artistes divers et des membres de la famille. Sa force c’est qu’elle n’est pas larmoyante, préférant célébrer le visionnaire en Dj Mehdi plutôt que l’artiste a qui l’on a coupé les ailes, mort à seulement 34 ans. Il faut la voir pour comprendre à quel point ce legs est considérable. Définitivement unique en son genre.