Esther Rollande dans Les Meilleures
Denis Manin

Premier casting gagnant et premier grand rôle. Celui d’une adolescente de de 19 ans tombant amoureuse d’une autre jeune femme dans une cité de la Goutte d’Or. Elle y crève l’écran.

Avec son premier long métrage, Les Meilleures, Marion Desseigne- Ravel raconte une histoire d’amour - compliquée à vivre et à faire accepter par leurs proches - de deux jeunes femmes dans une cité du quartier parisien de la Goutte d’Or. La cinéaste y raconte l’homophobie au quotidien sans pour autant se faire donneuse de leçon, toujours à bonne distance de ses personnages, explorés dans toutes leurs contradictions. Et face à la toujours excellente Lina El Arabi (Noces), on découvre une toute nouvelle venue, Esther Rollande. Une apparition façon déflagration tant elle habite le rôle avec ce mélange de cinégénie, de justesse et de finesse qu’exige un tel récit. Rencontre avec une vraie révélation.

 

Qu’est ce qui vous a donné envie de devenir comédienne ?

Esther Rollande : Depuis l’enfance, j’adore observer les gens et essayer de rentrer dans leurs têtes pour deviner ce qu’ils pensent. Tout est donc sans doute un peu parti de ce terreau- là. Car ma famille n’est pas du tout cinéphile donc je n’ai pas vraiment baigné dans les films, enfant. Je crois avoir toujours eu le goût du jeu, cette envie et ce plaisir à être quelqu’un d’autre mais sans jamais penser en faire un métier. J’ai grandi à Paris et un jour, j’ai dû partir vivre avec ma famille dans le nord de la France où je ne me suis pas du tout intégrée. L’ado que j’étais n’a alors eu qu’un seul but : rentrer à Paris. Et comme j’ai toujours été attirée par l’art (je dessine, j’écris, je fais de musique, j’ai fait de la danse au Conservatoire…), j’ai postulé dans toutes les écoles artistiques possibles et imaginables, dont une fac de théâtre. Et c’est la seule où j’ai été prise ! Je n’y suis restée que trois mois mais ça a changé la donne pour moi. Car j’y étais entourée de gens de mon âge qui voulaient tous être comédiens et pour certains avaient déjà un agent. Soudain, le métier d’actrice ne m’est plus paru aussi inaccessible. Après, entre en jeu une énorme part de chance. Dans mon cas, j’ai été repérée sur Instagram pour faire des clips. J’ai pu m’y familiariser avec la caméra. Et sur l’un deux, j’ai rencontré Nadir El Arabi, le frère de Lina, qui m’a beaucoup parlé de sa sœur avant, quelques semaines plus tard, de m’envoyer un message pour me dire que, pour le prochain film de Lina, ils cherchaient le deuxième rôle principal et qu’il avait parlé de moi pour que je passe le casting

C’était votre premier casting pour le cinéma ?

Oui mais j’ai bien failli ne pas y avoir accès car, dans un premier temps, Marion avait cru comprendre que Nadir m’avait rencontrée dans une espèce de soirée un peu alcoolisée et ça ne lui donnait guère envie de me rencontrer ! (rires) Et puis, sans doute par politesse vis- à- vis de Lina, elle s’est ravisée. Mais je suis allée à ce rendez- vous sans aucun espoir. Je n’avais jamais joué, je ne pensais pas en avoir les compétences. Et puis une semaine après, Marion m’a rappelée pour me revoir. Là, je passe de nouveau essais mais face à Lina et forcément plus stressée car soudain une chance se profilait. Au point d’avoir le syndrome de la page blanche et de totalement oublier mon texte ! Mais je me suis parfaitement entendue avec Lina et je pense que c’est cette complicité immédiate qui a donné envie à Marion de m’engager deux semaines plus tard.

Quelle a été votre première réaction à la lecture de ce scénario ?

En fait, je l’ai lu deux fois. La première pour le découvrir et la deuxième pour l’analyser plus en profondeur dans l’optique de le jouer. J’ai tout de suite été frappée par la qualité de l’écriture de Marion et la justesse de cette histoire. Zina m’est tout de suite parue familière. Ce projet tombait pile dans ma vie car énormément de thématiques parlaient directement à la jeune fille de 19 ans en pleine construction que j’étais.

Comment avez- vous construit ce rôle à partir de là ?

Marion est une femme extrêmement bienveillante. En me choisissant, elle avait évidemment en tête mon manque d’expérience. On a donc énormément échangé autour de ce personnage. Et j’ai tout de suite aimé analyser cette Zina, chercher à la comprendre. Après, il fallait parvenir à l’incarner. Passer de la théorie à la pratique. Et forcément, je me demandais si j’allais en être capable. Pour y parvenir, j’ai énormément observé Lina et je peux vraiment dire que j’ai appris par mimétisme. J’avais conscience que ce film et ce rôle étaient la chance de ma vie et que je n’en aurais peut- être qu’une seule donc je ne devais pas me louper !

Dans quel état étiez-vous le premier jour de tournage ?

Jusqu’à ce jour- là, je pensais vraiment être quelqu’un de calme ! (rires) Mais j’étais morte de peur, je me demandais ce que je faisais là, j’ai d’abord eu envie de ne pas y aller puis de m’enfuir. J’étais certaine que Marion allait se rendre compte qu’elle s’était trompée. Mais je tenais à honorer la confiance qu’elle me porte. Ce fut ma porte d’entrée, ce qui m’a permis de passer outre ma peur. Surtout que je commençais par une scène sur un banc où il y avait énormément d’impro et où toutes mes partenaires, à commencer par Lina, avaient une expérience qui me faisait défaut. Mais elles aussi m’ont accueillie à bras ouverts et là encore j’ai tenté de me caler sur elle.

Comment avez- vous réagi à la première vision du film ?

Je l’ai découvert en public au festival du film francophone d’Angoulême et j’ai eu un peu la sensation de me prendre mon intimité en pleine face et encore davantage que toute la salle y avait accès ! (rires) Je l’ai donc vécu comme une mise à nu assez brutale, j’avoue.

Vous avez enchaîné depuis ?

Lina m’a présentée, pendant le tournage, son agent qui est devenu le mien. Et depuis, j’ai eu la chance de pouvoir décrocher une série – dont le titre et le sujet restent encore confidentiels -  dans lequel j’ai déboulé deux semaines avant le tournage. J’ai pu me confronter à un rythme vraiment intense de trois prises grand maximum par scène. Cela n’a évidemment fait que conforter mon désir et mon plaisir à faire ce métier. Et je vais pouvoir m’y replonger très vite pour un premier long signé Lucas Beccaro, Angèle et mes démons. En parallèle, je fais du mannequinat pour gagner ma vie. Et je fais tout pour rattraper les manques de ma culture cinéphile. J’ai pris des abonnements à UGC et à toutes les plate- formes possibles. Je regarde un film tous les jours quoi qu’il arrive !