Première
par Christophe Narbonne
Alain Guiraudie aurait pu imaginer cette histoire (vraie) : celle de Paul Grappe, un déserteur de la première guerre mondiale qui, pour vivre au grand jour sans se faire repérer, décide, à l’instigation de son épouse, de se travestir en femme ; prenant goût à sa nouvelle identité (et à une sexualité débridée), il délaisse Louise qui va tenter de le ramener à la r(m)aison. Le réalisateur de L’Inconnu du Lac en aurait sans doute tiré une grande comédie picaresque, cul et absurde, soit précisément l’inverse de ce que recherche André Téchiné, davantage préoccupé par la vérité des êtres et par le réalisme des situations –symbolisé par l’atelier de couture studieux où travaille Louise Grappe. Peu de folie donc, bien que le sujet s’y prêtât (le facétieux Michel Cau, monsieur Loyal d’un cabaret décadent, apporte la dose minimale d’extravagance), mais beaucoup de passion rongeant les personnages de l’intérieur. Aux grandes questions identitaires et sociales posées par la transformation radicale de Paul (par ailleurs victime d’un syndrome post-traumatique auquel le film fait discrètement allusion), Téchiné préfère aussi le lustre moins flamboyant de la crise de couple traitée frontalement, sans chichis. Il y a chez lui une forme de résistance au glamour et a l’épique qui friserait presque le snobisme si, au détour d’une scène de ménage tonitruante, il ne venait nous rappeler que la force de son cinéma viscéral tient dans ce déchaînement de l’intime face aux forces irréversibles de la fatalité.