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Un petit polar UK sorti l’année dernière anticipait les émeutes de Londres et tentait de tirer la sonnette d’alarme. Harry Brown sort bientôt en DVD.  Ne réglez pas votre écran ! Vous n’êtes pas branché sur BFM TV ou BBC News. Les images du dessus sont tirées de Harry Brown, vigilante crépusculaire qui convoquait la violence crue de Get Carter et la veine sociale de Mike Leigh pour devenir le tombeau de Michael Caine. C’était comme ça qu’on avait en tout cas reçu ce petit polar hommagieux il y a plus d’un an. Un théâtre d’ombre envoutant qui laissait infuser la majestueuse présence de l’acteur, faisait piétiner l’intrigue pour lui laisser déployer sa grande carcasse. Joli.Avec les émeutes de Londres, le film de Daniel Barber prend aujourd’hui une autre résonance. Et acquiert un drôle de feeling prémonitoire. Dans Harry Brown, pendant une heure, Michael Caine observe de sa fenêtre des hooligans prendre en otage un quartier du sud londonien avant de sortir et flinguer du dealer. Le film se termine dans des scènes d’émeutes fantomatiques qui anticipaient ce qu’il se passe aujourd’hui dans le nord.  OK, rien de neuf sous le soleil : depuis quelques années, un spectre hante l’Angleterre, le spectre des hoodies. Récemment, une flopée de films UK faisaient flipper le spectateur en mettant en scène ces jeunes punks à capuche, désoeuvrés, qui passent leur temps à s’emmerder et sombrent progressivement dans la violence pure. C’est le cinéma de Shane Meadows, c’était Eden Lake (version horreur), Outlaw (version gangster) ou The Great Ecstasy of Robert Carmichael (version Kubrick). Ce sera N.E.D.S, film à tendance autobio de Peter Mullan dans quelques semaines.Mais le film de Barber est différent. Parce que si Harry Brown était d’abord un beau film crépusculaire sur le mythe Caine, le fond du propos était ailleurs et Barber voulait d’abord adresser un commentaire social. En interview, le cinéaste nous avait ainsi confié : “J’aimerai que mon film fasse débat, que la société s’empare de Harry Brown et qu’on se demande ce qu’on va faire de ce qui est en train de devenir une génération perdue”. En Angleterre son film était devenu un phénomène, squattant les pages sociétés plus que les manchettes cultures. “C’est un cri d’alarme. Je ne voulais pas faire juste un polar. Je voulais parler de ces gamins et de la peur qu’ils font régner dans les quartiers. Ils terrorisent les gens”. Qu’on ne se trompe pas, Barber n’apportait pas de réponses et ne prétendait pas pouvoir régler le problème : “Ca n’est pas mon travail. Evidemment, il y a des facteurs connus, l’architecture de ces quartiers, le chômage, et la mauvaise éducation. Mais le problème c’est que les kids ne respectent rien dans cette société. Et surtout pas eux-mêmes. La vie perd son sens dans ce pays”Par un bizarre retour du réel, son analyse, vieille d’un an, utilisait à peu de choses près les même mots que le sociologue Amin Ash utilisait pour décrypter les émeutes dans le journal Libération d’hier. Ash expliquait : “Je crois qu’il s’agit plutôt d’une jeunesse mécontente qui a des raisons légitimes d’être en colère mais qui en même temps agit de façon brutale car elle ne se respecte pas elle-même, et ne respecte pas l’autorité”  Alors ? Pouvoir divinatoire du cinéma ? Et faut-il envoyer Michael Caine armé d’un .22 à Southampton ou Manchester ce soir ? Nommer Daniel Barber ministre de la jeunesse ? On va déjà commencer par revoir Harry Brown différemment lorsqu’il sera disponible en DVD dans quelques jours (sans suppléments - c’est bien dommage), écarter un peu plus les soupçons de fascisme qu’on avait pu lui adresser à l’époque et que Barber avait fermement combattu. Son refus de prendre position et son absence de jugement prêtaient le flanc à des commentaires affolés des jansénistes du cinéma. Aujourd’hui, cette “neutralité” renforce un peu plus la justesse de sa vision sociale. On remarquera finalement que le cinéma anglais marque une nouvelle fois des points : parce qu’il est branché sur la société et son histoire et qu’il se nourrit du réel, le cinéma UK reste un formidable reflet de la société. Genre ou pas, Caine ou pas, Harry Brown avait vu juste. Par Gaël GolhenPour finir, (re)découvrez une interview de Michael Caine à propos d'Harry Brown ici :