Wajdi Mouawad est l’un de nos plus grands auteurs de théâtre francophone. Nous tenons à ce terme, car il est né au Liban, et après un passage en France, s’est installé à Montréal. Egalement metteur en scène, il est actuellement une des figures majeures de l’art théâtral. Après avoir été l'artiste associé du Festival d'Avignon 2009 et présenté sa trilogie dans la Cour d'honneur du Palais des Papes, le voilà de retour à Paris, au théâtre de Chaillot.Propos recueillis par Marie-Céline Nivière. L’écriture théâtrale, la mise en scène est venue comme une nécessité ? En réalité, elle est venue étrangement, par amour du monde des adultes. Enfant, puis adolescent, j’étais curieux du monde des adultes. Je voulais y appartenir. Les adultes étaient des gens par qui l’art passait. Il était important d’adhérer à ce monde. J’étais surtout entouré d’adultes qui lisaient et du coup j’ai beaucoup lu. J’éprouvais de l’amour, de l’amitié pour ce que je lisais. L’envie de faire la même chose est née de ce terreau de fascination. Cela a révélé des choses au jeune adulte que j’étais. Je me suis pris en main. J’ai fait une école de théâtre, monté mes propres textes. C’était une appropriation féroce. Les spectacles de Robert Lepage, grand metteur en scène québécois, ont été pour vous un déclencheur ? Cela a été un choc. Avec « La trilogie des dragons », j’ai compris que l’on pouvait tout faire au théâtre, qu’il y avait une liberté. Lepage sait faire du théâtre avec tout, avec rien. L’imagination consiste à utiliser ce que l’on a sous la main. Quelqu’un qui manque d’imagination, c’est quelqu’un qui ne se sert pas de ce qu’il a sous la main. Vos origines vous ont amenées à parler de l’homme, de sa destinée ? L’homme est au centre, la destinée est venue peu à peu. Il y a eu « Willy » (Willy Protagoras enfermé dans les toilettes écrit au lycée, ndlr), puis ma seconde pièce Journée de noce chez les Cro-Magnon qui parlait de famille et de mariage. Dans les didascalies, j’avais écrit « Bombe au loin ». C’est là que la guerre est entrée, ce n’était qu’un détail. J’ai compris alors que j’avais connu la guerre. Pour moi, jusqu’à ce moment-là, ce n’était que pour ceux qui étaient restés au Liban. Les souvenirs sont revenus. Ce fut un choc. Il y a eu ensuite Littoral et Incendies. C’est avec Littoral que la guerre est entrée dans mes pièces. La guerre, c’est à la fois le collectif et l’intime qui se confondent, entrent en collision. Ma question est de savoir comment être heureux personnellement quand le collectivement ne va pas. L’histoire de notre intime est aussi complexe que l’histoire collective. Dans les histoires que je raconte, je pose les questions : Jusqu’où cela peut aller ? Comment consoler, colmater ? Le Québec nous offre en ce moment de grands auteurs, il y a bien sûr Lepage, vous, mais aussi Daniel Danis, et j’en oublie, quelle est la source de ce vivier ? Je dirais que là-bas la langue est importante parce que menacée. C’est Michel Tremblay qui a donné naissance à tous ces auteurs. Dans un contexte où la langue est minoritaire, cette langue devient très forte.Au Festival d’Avignon, l’aventure de « La Trilogie », onze heures de spectacle, a été un événement marquant. Nous sommes nombreux à porter en étendard le « On l’a fait ». Et les jeunes vous ont adoré comme une rock star ! C’était impressionnant.À Chambéry où l’on répétait, j’avais dit aux acteurs que nous n’étions pas dans un rapport où il fallait prouver un travail. Littoral avait été créé quinze ans plus tôt et avait été joué plus de trois cents fois, Incendies et Forêts, deux cent cinquante fois. Il fallait prendre Avignon comme un lieu où nous allions célébrer ces quinze années de travail. Une fête à laquelle on a invité huit mille personnes ! Ces deux semaines dans la Cour à voir le soleil se coucher et se lever, à avoir peur du mistral, de la pluie, la densité de ce que cela procurait, tout cela a été prodigieux. Quant aux jeunes, on a été très surpris. Hortense et Vincent (Archambault et Baudriller, directeurs du festival) m’ont dit un jour : « On a vendu toutes les places, mais il doit y avoir un problème, les places étudiantes se sont vendues plus que les autres années. » Ils ont craint une fraude. Mais à la première, on a vu que ce n’était pas le cas. Cela m’a énormément touché, l’accueil de ces jeunes, de ces gens qui entrent dans la vie.Reprise de Littoral, Incendies et Forêts au Théâtre national de Chaillot
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Interview de Wajdi Mouawad, de retour à Chaillot !
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