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Dimanche, Homeland entame sa quatrième saison après s'être conclue sur un événement qui remet complètement en question la série, au point de se demander comme celle-ci va s'en relever. Attention aux spoilers si vous n'êtes pas à jour.

La série Homeland nous a laissés l'an dernier sur une grande déflagration et un coup créatif particulièrement osé. Dans le Season finale de la saison 3, on assistait en effet à la mort de Nicholas Brody (Damian Lewis), pendu en place publique par les autorités iraniennes pour avoir comploté avec la CIA contre la sécurité du pays. Une exécution à laquelle la pauvre Carrie assistait, impuissante, essayant en vain de laver son honneur quelques mois après sa mort.Au-delà du choc de voir disparaître l'un de ses deux personnages principaux, il est difficile d'envisager Homeland sans Brody, tout comme il est impossible de s'imaginer la série sans Carrie (Claire Danes). Celui qui était le cœur de la première saison dans son rôle d'ex-otage à la loyauté indécise a certes été mis un peu en retrait au fil du temps, principalement en faisant disparaître ses intrigues familiales (et notamment, Dieu merci, son horripilante fille Dana). Mais il demeurait encore un rouage essentiel de la mécanique de Homeland, faisant jouer ses contacts et son expérience du Moyen-Orient pour tenter de racheter sa faute (il est quand même passé à deux doigts de commettre un attentat-suicide pour assassiner le président des États-Unis). De sa trahison envers son pays jusqu'à sa quête de rédemption, si Carrie Mathison était l'héroïne de Homeland, Nicholas Brody en était le sujet central, et la relation toxique qui s'était nouée entre les deux le moteur.Le problème est d'ailleurs posé lui-même en ces termes par le showrunner de la série Alex Gansa, dans un article du Daily Beast : "Je suis le premier à admettre que l'image de cette étoile sur le mur ressemble un peu à une fin de série, et non une fin de saison. La question qui se pose maintenant, c'est à quel point vous êtes-vous investis dans les personnages qui restent ? "Un "Carrie Mathison show" ?Mais alors, de quoi va parler cette saison 4 désormais ? On sait qu'elle débutera six mois après le dénouement de la précédente et replongera Carrie, désormais mère d'un enfant, au beau milieu d'une nouvelle affaire mettant en cause les services de sécurité du pays. La série s'emparera d'un sujet d'actualité mais hautement sensible : celles des attaques de drones de l'armée américaine au Moyen-Orient. Un sujet délicat et d'actualité, pas forcément des plus originaux mais qui s'engouffre dans la capacité de la série à se pencher sous les dérives de la paranoïa anti-terroriste. Par cette nouvelle plongée au cœur de la culpabilité de l'armée américaine, la série doit essayer de faire oublier Brody, dont le souvenir s’effacera progressivement (Morena Baccarin et Morgan Saylor, qui interprètent Jessica et Dana Brody, après avoir été rétrogradées au rang d'invitées, ne devraient finalement pas du tout apparaître dans cette saison 4), ne subsistant qu'au travers de l'enfant qu'élève seule Carrie. Tout reposerait alors sur Carrie. Homeland saison 4, à en croire le premier trailer, devrait aussi aborder la difficulté de Carrie à assumer son nouveau statut de mère (qui plus est d'un enfant qu'elle a eu de Brody), alors même que celui-ci, de l'aveu des producteurs, a apaisé la jeune femme et réglé une partie de ses troubles mentaux. D'ailleurs, le dit bébé est complètement absent du Season Premiere, que Carrie passe sur le terrain au Pakistan. Reste le risque de tomber, si l'équilibre est trop instable, dans un mélange de soap d'espionnage indigeste, d'autant que sa relation avec Peter Quinn (Rupert Friend) est encore en suspens. Le "Carrie Mathison show" qu'est désormais voué à devenir Homeland est à double tranchant : il peut relancer la série tout comme l'affadir définitivement.Vers un nouveau 24 heures chrono ?En tout état de cause, les premiers retours sur cette nouvelle saison divisent les critiques qui ont eu l'occasion d'en regarder les trois premiers épisodes. Ces échos s'accordent à dire que la saison 4 de Homeland s'annonce plus riche en action et fait évoluer assez nettement la série vers une autre référence : 24, contre laquelle elle s’était pourtant bâtie, même si les deux shows partagent le même créateur (Howard Gordon, co-créateur de Homeland, est le père de 24). Slate salue le retour d'une série "plus humble, s'excusant implicitement des erreurs qu'elle a pu faire par le passé". Le Hollywood Reporter loue, de son côté, un retour aux fondamentaux : "La nécessité d'alléger les choses et de les ramener à l'essentiel a apporté à la série une nouvelle raison d'être, plus fluide et plus aiguisée" ; avant de conclure : "les scènes d'action rapidement entrecoupées d'intermèdes politiques cruels semble être exactement ce dont la série a besoin pour conserver son intérêt".Ce point de vue se retrouve d'ailleurs dans l'évolution du casting : exit les rôles familiaux (Baccarin et Saylor donc, mais aussi James Rebhorn, père de Carrie dans la série, disparu en mars dernier suite à un cancer), les nouveaux venus sont tous partie intégrante du volet politique de la série. On y retrouvera notamment Corey Stoll (House of Cards ou The Strain, et bientôt à l'affiche d'Ant-Man) dans le rôle d'un responsable de la CIA au Pakistan, Suraj Sharma (L'Odyssée de Pi) dans celui d'un étudiant en médecine qui va plonger malgré lui dans l'engrenage d'une bévue de l'armée américaine, Tracy Letts en nouveau patron de la CIA ou Laila Robbins en tant qu'ambassadrice américaine. Quant à Nazanin Boniadi, son personnage de l'analyste Fara Sherazi a été promu régulier pour cette saison 4. Reboot ou dernier round ?Un tel parti pris ne sera pas sans en laisser certains sur le carreau. Dans sa critique des premiers épisodes, Forbes écrit à propos de ce changement de ton : "Cette nouvelle saison est-elle un reboot ? D'une certaine manière. Mais plus rien ne semble garantir la cohésion de la série désormais. […] Homeland avait la chance de redéfinir complètement ce qu'elle souhaite représenter. Mais à la place, tout ce qu'elle fait nous rappelle à quel point la série était dépendante de l'exécution de Nicholas Brody".Que le choix séduise ou laisse perplexe, une chose semble certaine : Homeland est désormais une nouvelle série. Le thriller paranoïaque des débuts, envahi par le doute qu'en tout homme puisse se cacher un terroriste en puissance si le rôle des États-Unis dans la guerre le justifiait, est en train de muter vers une série d'action mâtinée d'interludes politiques. Reste désormais à savoir si la transition se fera sans heurts ou si elle témoigne uniquement de l'impuissance des créateurs à renouveler une formule arrivée à son terme.En tournant le dos à un pan entier de l'identité de sa série phare, Showtime tente un pari difficile pour réagir aux mauvaises critiques tout en maintenant des audiences qui continuaient d'être satisfaisantes (le final de la saison 3 a d'ailleurs battu le record d'audience historique de la série). À force de s'égarer dans certains travers mélodramatiques et autres revirements dans les relations entre ses personnages (la loyauté de Brody, ses amours contrariées avec Carrie, les manigances autour de l'enfermement de Carrie en hôpital psychiatrique), Homeland s’était écarté de son thème central, la paranoïa post-11 septembre. En tuant son héros, en oubliant ses fondamentaux, la série peut-elle survivre ?Après Dexter ou Californication, qui ont marqué leur génération avant d’agoniser lentement pour mourir dans l'indifférence, il serait fâcheux que la chaîne Showtime prouve une fois encore qu’elle ne sait pas quand finir ses séries.Julien LadaPour enfin pouvoir se faire une idée sur la réalité du nouveau Homeland, Showtime diffusera les deux premiers épisodes dans la même soirée ce dimanche 5 octobre. Ces derniers seront disponibles dès mardi prochain en version sous-titrée sur Canal+ Séries. Notons que la saison 3 resort en DVD / Blu ray le 15 octobre avec de nombreux bonus