"Pour continuer à faire des affaires en Allemagne, les grands studios d’Hollywood ont accepté de ne pas faire de films contre les Nazis ou qui condamnent la persécution des Juifs", affirme l’historien Ben Urwand dans son livre The Collaboration : Hollywood’s Pact With Hitler (à paraître en octobre prochain en anglais chez Harvard University Press). D’après l’ouvrage, dès 1932, les studios hollywoodiens durent se soumettre à des lois inspirées par les Nazis pour censurer leurs films afin de pouvoir continuer à les exploiter sur le territoire allemand. Urwand a notamment retrouvé des documents qui prouvent que la MGM a acheté des war bonds allemands qui finançaient des usines d’armement dans les Sudètes : "on ne peut pas trouver exemple plus extrême que celui du plus gros studio américain qui finance la fabrication d’armes [allemandes] un mois après la Nuit de cristal", précise Urwand au site web du journal The Observer ce samedi.Une affirmation qui provoque forcément la polémique. Comment est-ce que les patrons des grands studios, tous Juifs originaires d’Europe de l’est (Irving Thalberg et Louis B. Mayer pour la MGM, Adolph Zukor et Jesse Lasky pour la Paramount, par exemple), ont accepté de traiter avec les Nazis ? Ignoraient-ils les exactions menées par Hitler et sa clique contre les Juifs ? "L’excuse de l’ignorance ne tient pas", écrit-il. "Les cadres hollywodiens étaient parfaitement au courant de ce qui se passait en Allemagne, non seulement parce qu’ils avaient été forcés à licencier leurs employés juifs là-bas, mais aussi parce que les persécutions étaient alors largement connues." Pour Urwand, l’explication est toute simple : business is business. "Ils ne voulaient pas perdre le marché local. Ils ne voulaient pas devoir partir et revenir sous des conditions différentes. Ils pensaient aussi qu’Hitler pouvait gagner la guerre et préféraient travailler avec les Nazis pour sauvegarder leurs affaires." Urwand raconte également que le consul allemand aux USA de l’époque, Georg Gyssling, effectuait de fréquentes visites aux studios pour réclamer des coupes dans les films afin de servir la propagande nazie.En fait, ce n’est pas une thèse réellement nouvelle : on sait depuis longtemps que les studios américains acceptèrent de remplacer sans broncher leurs employés juifs dans leurs bureaux allemands, et certains films de pure propagande nazie furent diffusés aux USA (Le Jeune hitlérien Quex, Le S.A. Brand) sans que cela ne choque. Car la norme à Hollywood dans les années 30 était l’apolitisme, et l’opinion publique américaine du temps, qui affrontait la Grande dépression, était très largement isolationniste. Ce contexte politique explique principalement pourquoi les grands patrons des studios n’allaient pas se lancer dans des croisades de propagande de peur de perdre leurs intérêts économiques, et "se montraient attentifs à ne pas prendre de positions publiques motivées par leurs origines." (1)De plus, beaucoup de Juifs fondateurs d’Hollywood, préféraient rejeter leur héritage culturel par crainte d’être stigmatisés et par désir de bâtir leur propre destin aux Etats-Unis face à un antisémitisme bien réel à Hollywood. A l’exemple d’Harry Cohn, président de la Columbia, qui rejetait en bloc ses racines juives et était paraît-il un grand admirateur de Mussolini. Irving Thalberg de la MGM, rentrant d’Allemagne en 1934, aurait déclaré que "Hitler et l’hitlérisme passeront, mais les Juifs, eux, resteront", affirmant que les Juifs allemands ne devaient pas s’inquiéter outre mesure du nazisme. "Je ne crois pas qu’Hollywood doive se préocupper d’autre chose que de divertir", déclarait Zukor de la Paramount la même année. "Il ne faut pas de propagande." Mais en privé, les tycoons sont réellement inquiets de la dictature d’Hitler. Peu à peu, la montée de plus en plus forte du péril nazi et la pression effectuée par de nombreux artistes juifs d’Hollywood va les pousser à s’engager contre le nazisme.Parmi les gros studios, Warner (l’un de leurs employés avait été assassiné à Berlin en 1936) prend le premier position contre le nazisme à travers des films engagés contre l’Allemagne (Les Aveux d’un espion nazi en 1939 avec Edward G. Robinson). Un engagement réel mais timide, Harry Warner ayant peur que l’opinion ne leur rappelle leur judaïsme. En 1936 est fondée l’Hollywood Anti-Nazi League (HANL), financée par le tout-Hollywood (y compris par Thalberg), dont Jack Warner et Carl Laemmle d’Universal (qui dut couper en 1931 30 minutes de A l’ouest, rien de nouveau de Lewis Milestone pour permettre au film d’être projeté en Allemagne) feront partie des dirigeants. La Ligue protesta notamment contre la visite de la réalisatrice Leni Riefenstahl (celle qui mit en scène le nazisme par la caméra) à Hollywood en 1938 à l’invitation de Walt Disney. Mais l’HANL, noyautée par les communistes et donc vue comme "rouge", perdit vite de son influence. Après 1939 et la guerre en Europe, les films se font plus percutants (Le Dictateur de Charlie Chaplin est un film indépendant). Ce qui poussa une bande de politiciens antisémites et isolationnistes à réunir en septembre 1941 une commission d’enquête, auditionnant les patrons des studios afin de dénoncer le soi-disant "bellicisme" des juifs hollywoodiens. (2) Avec l’attaque de Pearl Harbor en décembre 41 et l’entrée en guerre des Etats-Unis, tout va évidemment changer et Hollywood va mettre sa toute-puissance au service de la machine de guerre américaine. Jusqu'à la victoire.(1) Jacqueline Nacache, "War Comes to America : le cinéma hollywoodien entre effort de guerre et propagande, 1939-1945", in Une histoire mondiale des cinémas de propagande, dir. Jean-Pierre Bertin-Maghit, Nouveau Monde éditions, 2008.(2) Neal Gabler, Le Royaume de leurs rêves : la saga des Juifs qui ont fondé Hollywood, 1988 (traduction française en 2005 chez Calmann-Lévy).
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